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SIMIDSO SEDJI.

méconnaître par qui que ce fût. Si par état leur devoir était d’aimer la paix, par tempérament ils se sentaient poussés à la guerre ; l’intérêt leur faisait une règle d’être polis avec tout le monde, mais ils n’étaient point d’humeur à supporter tranquillement la moindre provocation. Les disputes, les querelles devinrent de plus en plus fréquentes ; ce fut bientôt un acte d’imprudence de se risquer seul et sans armes dans la campagne, et même à une certaine époque dans les rues de Yokohama. Le consul britannique alla jusqu’à notifier officiellement à ses compatriotes l’avis de ne sortir qu’armés d’un revolver, en les autorisant à en faire usage contre tout indigène qui les provoquerait. Les attentats contre la vie des étrangers étaient en effet devenus très fréquens, et l’état d’isolement auquel Européens et Américains se trouvaient réduits au Japon justifiait ces mesures excessives de précaution. Deux officiers russes, deux capitaines de marine hollandais, le secrétaire de la légation américaine, l’interprète de la légation anglaise, le domestique du consul français, venaient d’être assassinés sans que les Japonais pussent alléguer ou imaginer le moindre sujet de provocation de la part des victimes. On semblait les avoir choisies dans chacune des nationalités représentées au Japon comme pour les braver toutes à la fois, et la preuve qu’il s’agissait bien d’assassinats politiques et non de crimes vulgaires, c’est que dans aucun des cas cités on n’avait soustrait les objets de valeur dont les victimes étaient munies au moment où la mort les avait frappées.

La situation de la communauté étrangère de Yokohama devint passablement critique : elle ne comptait alors qu’une centaine de personnes, et elle était entourée d’une population de 30 millions d’individus que l’on savait en grande partie être hostiles aux étrangers. On n’avait cependant pas de graves inquiétudes ; on se sentait protégé par le droit commun, et on avait lieu de supposer que le gouvernement japonais serait assez soucieux de son honneur et de son existence pour ne pas encourager une infraction flagrante des traités qu’il venait de conclure avec les puissances occidentales. Au bout de quelque temps, les plus timides eux-mêmes furent entièrement rassurés par l’arrivée de troupes anglaises et françaises, qui s’installèrent à demeure tout près du quartier européen, dans une position assez forte pour pouvoir repousser des attaques aussi peu sérieuses que devaient l’être celles de soldats mal armés et ignorans de la discipline moderne. On fit bon accueil à la colonne expéditionnaire envoyée à Yokohama, et les officiers, jeunes gens pour la plupart, devinrent bientôt les hôtes familiers de leurs compatriotes. Des relations amicales et intimes s’établirent entre le camp et la ville, qui, à cette époque, se fondirent dans une fraternelle communauté.