Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
REVUE DES DEUX MONDES.

taquer, et dans les sentiers encaissés où il aurait été plus facile de les surprendre, ils passaient toujours au grand trot.

« Un soir, je crus toucher à l’exécution de mon projet ; mais par accident je me trouvai seul au moment propice. J’étais assis au bord du chemin, attendant mon ami, qui était allé acheter des vivres, lorsque j’entendis un bruit de chevaux. Je ne vis point de lanternes, et je compris aussitôt que des étrangers s’avançaient au-devant de moi. La nuit était sombre, presque sans étoiles ; il n’était pas difficile de m’échapper après avoir abattu un de ceux qui approchaient. Ils n’étaient que deux. Je tirai mon sabre avec précaution, mais au moment où je le levai au-dessus de ma tête la lame dut étinceler à la lueur d’une étoile, car l’homme poussa un cri et donna de l’éperon à son cheval, qui fit un bond, tandis que son compagnon s’arrêtait brusquement à quelques pas devant moi. Je me retirai sans bruit, et je les entendis échanger quelques mots et s’éloigner ensuite au grand trot.

« Voyant combien il était difficile d’arriver à notre but, nous nous rendîmes à Kamakoura pour y faire nos dévotions dans le temple du dieu de la guerre. Il y avait plusieurs mois déjà que nous n’avions qu’une seule pensée, tuer des étrangers ; il ne nous restait plus que quelques rios, rien ne nous réussissait, et nous étions exaspérés. À Kamakoura, nous vîmes encore beaucoup de nos ennemis aller et venir, mais l’occasion de les approcher ne se présenta pas. Une après-midi enfin, tandis que nous errions dans la plaine de Daïbouts à la poursuite de notre projet, l’occasion tant désirée vint à nous. Nous aperçûmes deux hommes venant à cheval lentement et sans défiance l’un derrière l’autre ; nous nous embusquâmes à l’endroit que dans nos précédentes excursions nous avions remarqué être favorable à l’exécution de notre dessein. Nous étions tous les deux résolus à tuer, et lorsque les étrangers passèrent, nous les tuâmes. Cela est la vérité, je n’ai plus rien à dire. »

Ce récit s’accordait parfaitement avec les témoignages recueillis avant l’arrestation de Sadji. L’enfant qui avait assisté à la scène du meurtre et qui fut confronté avec le prisonnier le reconnut d’ailleurs immédiatement, et le désigna comme le plus grand des deux officiers, celui qui lui avait crié de s’en aller.

Sedji prétendit d’abord ne pouvoir donner aucun renseignement sur son complice. Celui-ci lui avait dit venir d’Owari, province où lui, Sedji, n’avait jamais été et où il ne connaissait personne. Il se faisait appeler Tzé-ziro, mais Sedji ne savait pas si c’était là son véritable nom. Le prisonnier fut alors soumis à la question ordinaire ; mais il jura sur la foi des sermens les plus sacrés qu’il n’avait dit que la vérité. Il ajouta cependant quelques autres renseignemens