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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/245

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SIMIDSO SEDJI.

le couronnent. Je m’étais joint à Polsbroek, le premier résident étranger au Japon, mon ancien hôte et ami, et d’un commun accord nous avions résolu d’assister à la fin de la tragédie. À cinq heures, la promenade à travers la ville était terminée, et le cortège, revenant sur ses pas, se dirigea vers Tobi, où devait avoir lieu l’exécution. Devant une maison de thé, à l’extrémité de Yokohama, l’on servit à Sedji son dernier repas. Il semblait affamé et mangea avidement tout ce qu’on lui présenta. Il but aussi plusieurs coupes de sakki chaud, et s’entretint sans embarras pendant le temps de la collation avec le valet du bourreau, qui le servait.

Lorsque le cortège se remit en marche, le jour baissait rapidement, et lorsque nous arrivâmes à Tobi, il faisait nuit noire. Le temps était froid, on alluma des feux en plein air autant pour voir que pour se chauffer. Deux hommes s’emparèrent de Sedji et l’aidèrent à descendre de cheval ; il se frotta les bras et les jambes, que l’immobilité et le froid avaient raidis, et s’approcha lentement d’un des feux. Il s’arrêta là, debout et immobile ; les yeux fixés sur le brasier, il resta pendant plusieurs minutes plongé dans une absorbante réflexion ; puis il soupira profondément, et, se retournant vers un des soldats japonais qui se tenaient près de lui, il lui demanda l’heure. « Il est sept heures, lui dit-on. — Sept heures, répéta-t-il lentement ; à Yédo, l’on m’avait promis qu’à quatre heures tout serait fini. J’ai froid. Pourquoi me fait-on attendre si longtemps ? »

Le caractère officiel de Polsbroek nous avait procuré une place dans le voisinage immédiat du condamné ; je ne pouvais détacher les yeux de lui, j’étais attentif à chacun de ses mouvemens, je prêtais l’oreille à chacune de ses paroles. Il s’assit lentement devant le feu et demanda une tasse de thé chaud, qui lui fut apportée sur-le-champ. Il s’efforçait évidemment de rester impassible et de paraître indifférent, et il tournait souvent la tête de côté et d’autre, comme si les gens qui étaient près de lui l’intéressaient ; mais on eût dit qu’il lui fallait le grand jour pour être entièrement maître de lui-même, et que la nuit détruisait son courage. À certains momens, il succombait aux rudes assauts que lui livrait l’instinct de la conservation ; il semblait alors qu’un voile passât sur sa physionomie et adoucît, en les assombrissant, ses traits froids et rigides. Le regard devenait immobile, une expression d’indescriptible horreur se fixait sur sa figure amaigrie et fatiguée ; mais ces momens de faiblesse étaient rares et de fugitive durée. Il s’arrachait à cet état d’abattement par un violent effort, que trahissait un mouvement convulsif du corps entier ; il cambrait sa haute taille, il relevait la tête, et la résolution de mourir comme un homme éclatait si clairement dans