Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lité d’auxiliaires. Ce furent d’une part la Russie, tout nouvellement élevée par la volonté d’un grand homme de la condition de peuple barbare à la dignité d’état civilisé, et qui trouva ce jour-là la première occasion de faire sentir sa main dans la politique de l’Occident, — de l’autre la jeune royauté prussienne, tombée en partage à un souverain, plein du feu de la jeunesse et du génie, qui osa risquer sur un champ de bataille et sut doubler du premier coup le patrimoine de richesse et de force légué par d’obscurs prédécesseurs; mais ces deux états, et, pour ainsi dire, ces deux acteurs nouveaux intrus sur la scène politique de l’Europe, ayant figuré pendant la guerre dans des camps opposés, — la Russie du côté de l’Autriche, et la Prusse dans les intérêts de la France, — leurs accroissemens semblaient se faire contre-poids, et n’altéraient pas la proportion relative des forces. Voltaire a décrit cette situation par quelques-uns de ces traits nets et sobres qui sont le grand secret de son art. «Après cette paix, dit-il, l’Europe chrétienne resta divisée comme en deux grands partis qui se ménageaient l’un l’autre et soutenaient chacun de leur côté la balance. Les états de l’impératrice, reine de Hongrie, une partie de l’Allemagne, la Russie, l’Angleterre, la Hollande et la Sardaigne, composaient l’une de ces factions; l’autre était formée par la France, l’Espagne, les Deux-Siciles, la Prusse et la Suède. Toutes les puissances restèrent armées, et on put espérer un repos durable par la crainte même que ces deux moitiés de l’Europe semblaient s’inspirer l’une à l’autre[1]. »

On remarquera que dans cette énumération détaillée n’est pas mentionné le nom de la Pologne. Il suffit pourtant de jeter les yeux sur une carte pour comprendre quel rôle important cette division de l’Europe en deux moitiés si bien équilibrées devait assigner à un royaume peuplé de soldats, placé comme entre les plateaux de la balance, sur les derrières de l’Autriche, à égale distance de la Russie et de la Prusse, au centre de tous les intérêts en litige et sur le chemin de toutes les armées. De tout temps d’ailleurs, et pendant tous les incidens de leur conflit prolongé, la France et l’Autriche avaient soigneusement recherché et s’étaient disputé l’une à l’autre l’amitié de la Pologne. Par malheur, une commune expérience leur avait appris que cette utile alliance, très difficile à obtenir, était, une fois obtenue, encore plus difficile à garder. À aucune époque, la Pologne n’avait possédé ce qu’on appelait dans la langue politique d’alors un cabinet, c’est-à-dire un souverain et des ministres engageant leur état entier par leur parole, et pouvant offrir une sécurité suffisante à ceux qui entraient avec eux dans un sys-

  1. Voltaire, Siècle de Louis XIV.