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Broglie, son frère, une lettre pour M. de Saint-Contest, contenant l’offre de sa démission, fondée sur ce motif qu’il ne pouvait, avec son traitement, faire honneur à ses dettes, et n’en voulait pas contracter de nouvelles. « Je regrette, disait-il à son tour avec une résignation hautaine, de ne pouvoir consacrer les loisirs de la paix à faire quelque chose d’utile pour le service du roi, » et ce ne fut que quand la lettre fut partie et presque arrivée qu’il donnait avis de son coup de tête au prince de Conti.

On juge l’émotion du prince. « La démarche que vous faites, lui écrivit-il en toute hâte, quoique émanée des principes d’honneur, peut être mal tournée et mal prise. Il n’est point de cas où cette façon de parler soit placée vis-à-vis du roi. L’impossible est une raison facile à alléguer; mais, lorsqu’on veut s’en servir après un refus, il faut différer de le faire afin de lui ôter l’air de pique ou de marché à la main, que le roi ne peut admettre, et qu’en général les princes ne peuvent souffrir. » Le comte répliqua sur-le-champ en ces termes, qui ne témoignaient aucune contrition de son impertinence : « Il ne me reste, monseigneur, qu’à me soumettre à tout ce qu’il plaira au roi d’ordonner de mon sort. Mon temps et ma vie sont absolument à son service. Votre altesse n’ignore pas que j’ai souvent sacrifié l’un et l’autre; il ne me restait qu’à lui faire le sacrifice de mon peu de bien, il est maintenant consommé. Ainsi désormais ce serait celui des autres que je devrais y employer, ce que je ne puis envisager sans frayeur, quoiqu’il y ait beaucoup de gens à qui cela coûterait moins. J’espère qu’on veut bien me faire la grâce de croire que je ne suis pas de ce nombre; je sais aussi que sa majesté ne l’exige pas de moi. Aussi, si elle m’ordonne de rester sans augmenter mon traitement, ce que je la supplie instamment de ne pas exiger, dès que j’en aurai reçu l’ordre, je renverrai les gens que je ne pourrais payer, je changerai de logement pour en prendre un moins coûteux, je vendrai en partie mon équipage pour payer ce que je dois, je mesurerai exactement ma dépense à mes appointemens, et votre altesse sérénissime n’entendra plus parler de mes demandes. Je dois lui représenter que mon état de maison n’est pas actuellement plus considérable que celui des envoyés de Vienne, de Londres et même de Hollande, que ces ministres donnent même plus souvent à manger que moi, et que, quand il sera diminué, je serai au niveau des ministres des autres cours, qui assurément ont ici une médiocre représentation. Il me faudrait des volumes entiers pour lui expliquer combien il est essentiel à cette cour. On ne s’occupe que de cela, et on sait journellement jusqu’au moindre détail de l’intérieur de chaque maison, mais surtout de celle de l’ambassadeur de France, qui ne peut presque rien espérer que de