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à aider la résistance de quelque argent. Ces instructions sont fort sages, disait le prince, et vous mettent plus à l’aise que vous ne l’avez encore été[1].

Le comte de Broglie, engagé comme il l’était par ses paroles et mis tous les jours au pied du mur par ses amis, ne s’apercevait guère de cette aisance. Heureusement qu’au même moment il fit une découverte qui fut pour lui, dans sa perplexité, un trait de lumière. Il fut averti sous main que le roi et le comte de Brühl (l’un ne marchait guère sans l’autre) étaient plus mécontens qu’ils ne l’avaient laissé paraître au premier moment de la fraude faite aux droits de la couronne par la vente du domaine d’Osrog aux Czartoryski. Était-ce simplement le déplaisir de se voir privés d’une jouissance importante, était-ce fatigue du joug d’une famille exigeante? commençaient-ils à craindre que ces ambitieux seigneurs ne songeassent par cet accroissement de puissance à préparer la voie pour un des leurs à la prochaine élection? Toujours est-il que ce mécontentement était réel chez le roi et chez le ministre, et qu’une fois arrivés à Varsovie, et témoins de l’état de l’opinion publique, très prononcée contre cette transaction, ils laissèrent éclater leur impression avec moins de ménagement. Il arriva au comte de Brühl de dire tout haut devant le grand-général que, puisque l’administrateur actuel du domaine n’en voulait plus garder la gestion, le roi pourrait bien rentrer dans son droit et désigner de nouveaux gérans. Ce propos, rapporté par le comte Braniçki au comte de Broglie, leur parut à tous deux une insinuation qu’il ne fallait pas laisser tomber.

Ils connaissaient l’un et l’autre (et le seigneur polonais mieux que personne) par quels moyens on pouvait agir sur les résolutions du ministre saxon. Il fut donc arrêté entre eux qu’on irait offrir au comte de Brühl une somme de 10,000 ducats à toucher sous les deux conditions suivantes : 1° la diète serait dissoute, et tous les nonces dispersés ; 2° l’administration du domaine d’Osrog serait partagée entre deux patriotes que le grand-général désignerait. L’ambassadeur se chargeait de trouver et de fournir l’argent. Il aurait bien désiré qu’avant de le recevoir le ministre connût à qui il en avait l’obligation; mais le comte Braniçki fit observer que l’habitude de faire acheter les faveurs royales par les seigneurs polonais était invétérée chez le comte de Brühl, tandis que la proposition de recevoir l’argent d’un ministre étranger pourrait réveiller en lui quelques scrupules de conscience. Il demeura donc convenu qu’il ne serait informé de la provenance du don à lui faire que lorsque

  1. Conti à Broglie, 20 juillet 1754. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)