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avec la maison régnante et le dessein qu’il avait entrepris de la faire descendre du trône? Le comte de Broglie, en lisant ou en devinant entre les lignes ces réflexions maussades, dut se convaincre plus que jamais de l’impossibilité, si bien décrite par l’Évangile, où le même serviteur est de servir deux maîtres sans les mécontenter tour à tour. Cette fois, par un retour singulier, c’était son maître intime et secret qui s’alarmait des succès mêmes dont lui faisait compliment son maître apparent.

Ce fut bien pis lorsqu’il dut expliquer au prince de Conti un plan très hardi que la nouvelle situation des choses faisait naître dans son esprit, encouragé par le succès et vraiment fait pour la politique. Il ne suffisait plus, suivant lui, de préserver la Pologne seule de l’alliance ou du joug des puissances impériales; quelque chose de plus était possible et devait être tenté. Il fallait essayer d’enlever la Saxe elle-même aux liens qui la retenaient depuis longtemps dans la fédération de nos ennemis, afin de faire ensuite de la Saxe et de la Pologne unies la base solide de tout un système d’attaque ou de défense pour le cas toujours menaçant d’une nouvelle guerre européenne. Le traité de subsides qui existait depuis longues années entre la Saxe et l’Angleterre venait d’expirer, et des difficultés de forme n’avaient pas encore permis de le renouveler. Que la France offrît au roi Auguste des avantages égaux à ceux que lui avait faits l’Angleterre, et tout l’équilibre des forces entre les deux partis qui se divisaient l’Europe se trouvait par là seul interverti. La Saxe, appuyée sur la Pologne, formait contre toute intervention de la Russie en Allemagne un rempart infranchissable. En déchaînant sur les derrières de cette ambitieuse puissance la Turquie et les états riverains du Danube, en la faisant attaquer du côté de la mer par les royaumes scandinaves de la Suède et du Danemark, alliés naturels de la France, on achevait de la paralyser complètement et de la bannir du monde civilisé, où elle n’aurait jamais dû pénétrer. La Prusse, libre de toute inquiétude de ce côté, pouvait employer ses forces à défendre le nord contre les entreprises britanniques, et, pour commencer, enlever à l’Angleterre, avec l’électorat de Hanovre, la porte qu’elle tenait ouverte sur le continent. La France alors n’aurait plus en tête que l’Autriche, dont, à l’aide des petits souverains de l’Allemagne du sud, la plupart engagés dans ses intérêts, elle pourrait venir aisément à bout.

Dans cette vaste combinaison, la résurrection du parti français et national en Pologne, cette œuvre à laquelle le comte de Broglie venait de travailler si heureusement, jouait un rôle très important et presque principal, car c’était ce parti qui, de concert avec la Turquie, devait tenir en respect les armées russes, et refouler, comme disait le comte de Broglie, les successeurs de Pierre le Grand dans