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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/314

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de le bien tenir... Ce ministre se moque des intérêts de son maître et ne pense qu’à ce qui le regarde. » A toutes ces raisons, dont il sentait la faiblesse, le prince de Conti continua de faire la sourde oreille. « Ce traité, répondit-il, dont vous me parlez, sera dispendieux et inutile..., et nuisible pour les affaires secrètes. Cette nouvelle union pourrait mettre la cour de Saxe à portée de faire à la France des demandes embarrassantes pour la succession éventuelle au trône de Pologne, à quoi il serait également dangereux de se prêter ou de se refuser. De plus, en cimentant une nouvelle intimité avec la Saxe, on donnerait à penser au gros de la nation polonaise que la maison de Saxe est favorisée de la France..., et toute la partie de la nation qui, sans être dans le secret du roi, est cependant attachée aux intérêts de sa majesté croirait de pouvoir prendre des liaisons avec la maison de Saxe contraires aux vues du roi, mais dont il serait difficile de les tirer[1]. »

Tout autre fut l’accueil fait par le ministre à la proposition de l’ambassadeur. A la vérité, elle eut la bonne fortune de tomber à Versailles tout à fait à propos. C’était le moment où un démêlé survenu entre la France et l’Angleterre, au sujet des limites de leurs possessions dans le Nouveau-Monde, donnait lieu entre les deux cours à un débat très aigre qui ne paraissait pas pouvoir se dénouer pacifiquement. Un conflit entre les marines anglaise et française pouvait éclater d’un jour à l’autre sur l’Océan, et, la guerre une fois engagée, chacun sentait qu’elle ne resterait pas longtemps à l’état de duel maritime. La contagion de l’incendie ne tarderait pas à gagner le continent. Des deux parts, on se préparait au combat, et on regardait à ses pièces. Dans une conjoncture pareille, séparer la Saxe de l’Angleterre était un avantage très évident, nullement à mépriser, et qu’un ministre pouvait apprécier, même sans partager les vues lointaines et grandioses que bâtissait sur ce fond encore incertain l’imagination ardente du comte de Broglie. On l’invita sur-le-champ à sonder le terrain pour s’enquérir de l’accueil que recevrait à Dresde l’offre d’un traité de subsides.

Voilà donc une seconde fois notre ambassadeur placé entre des instructions directement contradictoires, avec cette différence que cette fois, par un chassé-croisé inattendu, son cœur et son esprit étaient tout entiers passés du côté de ses instructions officielles. Avant de s’engager dans cet embarras d’un nouveau genre, il éprouva le besoin d’aller prendre langue à Paris, et demanda, pour des raisons de santé, un congé de quelques mois. « Aux raisons que je donne à M. de Rouillé pour lui faire approuver mon retour, écri-

  1. Conti à Broglie, 29 décembre 1754. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)