Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vant, celui-ci arrête les progrès des envahisseurs, et les tient enfermés dans Manille jusqu’à ce que la nouvelle de la paix de Paris délivre l’archipel de leur présence.

La tâche des conquérans serait aujourd’hui plus difficile encore, et leur succès plus douteux. D’une part, un siècle écoulé a consolidé la domination espagnole; de l’autre, l’armée, qui était alors à peine formée, est maintenant organisée d’une manière permanente; elle est recrutée presque entièrement parmi les indigènes, à qui l’habitude du climat donne sur les Européens un avantage considérable. L’armée des Philippines se compose de dix régimens d’infanterie indigène, dont sept sont distribués dans Luçon et les îles adjacentes, et trois dans Mindanao, indépendamment de deux bataillons d’artillerie, dont l’un est européen, l’autre indigène, et de deux compagnies de sapeurs du génie. Deux escadrons de cavalerie indigène pour l’escorte du capitaine-général et pour sa garde, une compagnie de hallebardiers européens, dite garde du sceau royal, complètent l’effectif total, qui est de 9,000 à 10,000 hommes. Presque tous les officiers et la plupart des sous-officiers sont Européens. Pour que le soldat tagal marche avec assurance, il faut qu’un visage blanc lui montre le chemin. Le Tagal a du reste d’admirables qualités militaires, qui ont pu être appréciées par nos officiers lors de la première expédition de Cochinchine. Il a l’intrépidité que donne le mépris de la mort propre aux races asiatiques; il est dur aux fatigues et aux souffrances; il est d’une incomparable agilité, d’une sobriété à toute épreuve ; sa nourriture ordinaire est la morisqueta ou riz cuit à l’eau, qu’il assaisonne à sa manière; le pain et la viande qu’on lui distribue ne lui sont pas choses absolument nécessaires; il subsistera, s’il le faut, plusieurs jours en mangeant quelques bananes et en mâchant son buyo. Le Tagal est généralement petit, mais robuste, musculeux, bien fait; coquet et soigneux de sa personne, il se tient toujours propre et sait se donner bonne tournure. Aussi avec sa blouse, son pantalon de coton bleu et son chapeau à larges bords recouvert de toile blanche, la troupe a-t-elle fort belle mine.

Les casernes ne sont pas moins bien tenues que les soldats. Entrons en passant dans le quartier de l’artillerie indigène; tout y est d’une propreté sans tache. Les planchers sont polis à force d’être frottés; chaque homme a sa caisse en bois verni qui contient ses effets, et sur laquelle sont bouclés le petate ou natte de paille, un petit oreiller qui, étendus à terre, forment son lit. Au fond de chaque chambre est dressée une sorte d’autel, orné et entretenu par les soldats, et surmonté d’une image de sainte Barbe, patronne des artilleurs. L’Indien ne saurait vivre sans une image de saint auprès de lui.

En faisant le tour des remparts, on voit, au-delà de l’avant-fossé,