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rempart. Nous sommes détrompés en arrivant : la cota est vide; l’ennemi n’a fait qu’ensevelir ses morts et n’a pas touché au canon. Après l’avoir déposé où il nous était prescrit, nous détruisons l’affût, renversons une partie de la palissade, et reprenons le chemin de Supángan. Nous brûlons, chemin faisant, suivant nos instructions, toutes les maisons debout qui sont à portée; la plupart sont pleines de riz non mondé. Les escouades détachées en ont déjà incendié un grand nombre, les unes sont réduites en cendres, d’autres brûlent encore. Dans toute la plaine, on ne voit que des incendies. Ce que nous détruisons là, c’est la subsistance de bien des familles.

On nous apprend à Supángan que la colonne partie de Pollok a trouvé la quatrième redoute évacuée, et s’est contentée de faire main-basse sur les fuyards. Un chef ou datto est resté parmi les morts, et l’on rapporte sa ceinture rouge ornée d’une énorme boucle en cuivre doré.

Les redoutes des Mores sont des fortifications assurément très primitives, mais en leur genre assez bien entendues. Les marécages dans lesquels elles sont placées, les bois qui les entourent, en rendent l’abord difficile, et la construction en est solide, nous l’avons vu. Faire brèche à coups de canon dans ces ouvrages serait chose impossible, vu le calibre des pièces qu’on peut amener dans de tels terrains et la nature fibreuse du cocotier, sur lequel l’effet de l’artillerie se réduirait au trou du boulet. Aussi n’emploie-t-on que des obusiers et des mortiers de très petit calibre; seulement, comme on manque de chevaux, on est obligé de porter à dos d’homme pièces, affûts et munitions, et les inconvéniens de ce transport dépassent de beaucoup les avantages qui peuvent résulter de l’explosion de quelques projectiles creux dans la redoute. Pour s’emparer de ces cotas, on les fait donc attaquer de vive force par l’infanterie; mais le bois auquel elles sont toujours adossées fournit à la plupart des défenseurs, en cas de défaite, un refuge assuré.

Le but de l’expédition est pleinement atteint; les quatre forts sont pris, douze pièces de canon et un grand nombre d’armes sont tombées entre nos mains; les ennemis sont refoulés dans les bois, leurs approvisionnemens de riz ont été livrés aux flammes, et nous laissons derrière nous la disette. Quelque hostiles que soient les tribus voisines, on n’a point de motifs pressans de les attaquer, ni l’autorisation de le faire. Tout est donc terminé plus tôt qu’on n’aurait pu le penser, beaucoup plus tôt que plusieurs d’entre nous n’eussent voulu. Ceux qui espéraient une campagne sont déçus en voyant l’expédition toucher si promptement à sa fin, et ceux qui sont venus jusqu’en Océanie chercher l’occasion de faire la guerre dans les rangs d’une armée étrangère se prennent à envier les heureux