Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quable dans son essence, n’a d’autres limites dans ses effets que d’être exercé par un groupe suffisant de volontés. D’où cette conséquence, à la fois de logique et de justice : chacun de nous ayant un droit égal, chacune de nos voix a par elle-même une égale valeur, elle équivaut à une certaine part de représentation, et, — qu’on nous permette l’expression, — à une certaine fraction de représentant. Aussi, pour qu’en fait cette valeur soit effective, que faut-il? Simplement que chaque fraction, c’est-à-dire chaque voix, rencontre d’autres fractions semblables en nombre suffisant pour la compléter et constituer avec elle une unité. Cette unité une fois constituée, toutes les voix, toutes les fractions contraires, quel que soit leur nombre, ne peuvent prévaloir contre elle et influer sur son existence, à plus forte raison l’anéantir. La conclusion logique de tout ceci, c’est qu’en théorie pure, si dans la réunion de trente personnes que nous supposions tout à l’heure nous nous trouvons divisés en deux groupes opposés, l’un de 20 voix, soit des deux tiers, l’autre de 10, soit d’un tiers, au premier groupe, s’il y a trois délégués, appartiendront avec justice les deux tiers de la représentation, soit deux délégués; mais le second groupe aura droit sans conteste au troisième délégué. Cela est clair, palpable, rigoureux comme une opération mathématique : c’est un simple calcul de proportion.

En résumé, le droit de décision est un droit collectif, impersonnel, qui a sa raison d’être dans des nécessités de fait, et qui par la force des choses réside exclusivement dans la majorité. Le droit de représentation est un droit individuel, personnel, existant par lui-même et imprescriptible chez tout citoyen. Ce sont donc là deux droits essentiellement distincts. Or, depuis l’origine même du régime représentatif, dont ils sont les fondemens, un préjugé funeste les a confondus, et si complètement que personne aujourd’hui ne semble en mettre en doute l’identité, ni même soupçonner qu’il puisse y avoir là l’ombre d’une difficulté.

Comment, à l’heure qu’il est, se font les élections? A la simple majorité des voix, — majorité relative ou absolue, peu importe. Quiconque obtient dans un collège la majorité des suffrages est élu; quiconque n’a que la minorité, si imposante qu’elle puisse être, reste à la porte de la représentation nationale. Voilà le fait; il est brutal, il est incontestable. Les citoyens étant assemblés pour se choisir des représentans, chaque citoyen n’a pas la faculté d’exercer pleinement son droit; chaque vote ne peut pas prétendre à sa quote-part de représentation. Non; en réalité, l’on met aux voix non pas le choix de tels ou tels représentans, mais bien la question de savoir quelle fraction de l’assemblée aura des représentans. On