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bre, plus que jamais par conséquent la compétition est ardente, l’antagonisme passionné; plus que jamais l’armée électorale se divise en deux camps, se range sous deux drapeaux ennemis, loin desquels il n’est pas de salut, pas d’existence possible. Plus que jamais il faut être compacte, il faut se coaliser, trafiquer des consciences; plus que jamais enfin l’électeur honnête, qui ne voit ni dans l’un ni dans l’autre camp des compagnons près desquels il lui plaise de combattre, est réduit à rester sous sa tente, à renoncer sans espoir à sa part légitime de butin, c’est-à-dire de représentation.

Voilà donc le scrutin de liste : le despotisme de la majorité décuplé, centuplé peut-être; l’antagonisme entre concitoyens surexcité, exaspéré; la liberté de l’électeur embrigadée, enchaînée plus étroitement encore qu’elle ne l’est aujourd’hui[1], et enfin l’abstention imposée aux citoyens honnêtes et indépendans. Et ce serait là un progrès ! ce serait là une réforme! Non, non! loin de nous ces remèdes qui n’atteindraient pas le mal ou le rendraient plus dangereux encore! Rompons avec les préjugés et la routine, les méthodes impuissantes ou pernicieuses, prenons la maladie corps à corps, attaquons-la dans son essence et guérissons-la dans sa racine !


IV.

La racine du mal, nous la connaissons, c’est la confusion étrange, qui est à la base de nos institutions électorales, entre le droit de décision et le droit de représentation. Il faut donc avant tout détruire cette confusion fatale. Il faut substituer au principe de l’élection par la majorité un principe réparateur, un principe de raison et d’équité. Ce principe, — nous l’avons indiqué déjà, — ce principe, hors duquel il n’est point de justice ni de droit, c’est la proportionnalité de la représentation. C’est le principe en vertu duquel le résultat du vote doit être proportionnel à ses facteurs, et le nombre de députés afférens à chaque opinion proportionnel au nombre d’électeurs qui professent cette opinion. C’est le principe enfin que nous énoncions plus haut sous sa forme pratique, lorsque nous disions que dans une assemblée de 30 membres qui aurait à élire 3 représentans, s’il se formait deux groupes, l’un de 20 membres, l’autre de 10, le premier devrait emporter 2 délégués, et le second obtenir sans conteste le troisième tiers, c’est-à-dire le troisième délégué.

Qu’on le remarque bien, ce que nous réclamons là, ce n’est pas

  1. Avec le scrutin de liste, l’électeur est réduit à choisir entre les deux listes rivales qui se disputent la majorité, et à les accepter tout entières; s’il veut en prendre et en laisser, s’il veut faire des compromis et voter à sa guise, il ne risque qu’une chose : c’est de voir son vote égalé à zéro, ou bien de faire passer des candidats dont il ne se soucie guère, sans obtenir le succès de ceux qui ont vraiment ses sympathies.