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système irait droit à la négation de toute proportionnalité entre la représentation et les diverses fractions du peuple. La raison en est bien simple. Voici un chef de parti, un chef de la majorité qui se présente; il est connu partout, partout populaire et désiré. De toutes parts on vote pour lui; 100,000, 200,000, 500,000 suffrages s’accumulent sur sa tête. Prenons ce dernier chiffre. Voilà donc, — s’il faut un quotient de 20,000 voix pour être élu, — voilà un seul mandataire qui pour son parti représente la valeur de 25 députés, et pourtant à la chambre il n’aura qu’un seul vote. Cependant une minorité de 100,000 voix seulement, avec un peu d’entente, nommera 5 députés, et ainsi cinq fois moins d’électeurs auront dans le parlement cinq fois plus d’influence! Et que sera-ce si vous supposez en présence deux partis de valeur numérique à peu près égale! Il pourra donc arriver que la minorité ait au sein de l’assemblée vingt fois, cinquante fois plus de force que la majorité, à moins pourtant que vous ne donniez au député autant de votes dans le parlement qu’il aura de fois obtenu la quotité de voix nécessaire à une élection. Il est clair que cet expédient rétablirait l’équilibre; mais il y aurait à cela un premier inconvénient, sans parler des autres, qui sont graves et nombreux : c’est qu’une pareille mesure dans un pays d’égalité comme le nôtre serait absolument inacceptable et inacceptée. L’unité de collège serait donc, en réalité, moins la représentation des minorités que l’annihilation des majorités. En faut-il davantage pour rejeter sans hésitation un pareil projet? Nous le repoussons donc, sans nous y arrêter plus longtemps; mais nous le répétons, ce que nous repoussons ici, c’est le mécanisme, c’est l’application pratique du principe. Le principe au contraire, nous le retenons, nous l’embrassons énergiquement comme l’unique moyen de salut en matière électorale, car lui seul peut rendre à la nation la concorde en ne faisant plus de l’élection un combat où la victoire est le prix de la force, et à l’électeur la plénitude de son droit en l’élevant au-dessus des antagonismes et des haines, en l’arrachant au fléau des coalitions.


V.

Le principe dégagé, il ne reste plus qu’à découvrir le procédé d’application. Or ce procédé existe. Voilà tantôt quinze ans que deux hommes inconnus l’un à l’autre, dans deux pays différens, M. Andrœ en Danemark, M. Hare en Angleterre, l’ont presque en même temps créé, sinon de toutes pièces, au moins dans ses parties essentielles. Quel est le vice radical du système de M. de Girardin? Uniquement la déperdition de force que fait éprouver à un parti l’accumulation inutile d’un nombre exagéré de suffrages sur la tête d’un seul can-