Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exceptionnelle. Ainsi, même sans l’assistance de machines plus parfaites, la main-d’œuvre est susceptible d’acquérir plus de puissance quand l’ouvrier sait vouloir. « Il y a des établissemens, disait à M. Charles Robert un mineur du bassin de la Loire, où l’on se lance à l’ouvrage, il y en a d’autres où l’on se retient. » C’est donc un des buts principaux d’une bonne et intelligente économie industrielle que l’application des procédés qui sont le plus propres à exciter chez les travailleurs de toute catégorie cette ardeur et cette persistance d’efforts, cette intensité et cette continuité de l’attention. Ce n’est pas seulement par l’augmentation des quantités produites, c’est aussi par l’économie des matières premières, par les ménagemens envers les outils et instrumens, que l’ouvrier peut accroître l’efficacité de son travail et féconder l’industrie. Épargner autant que possible le combustible, la fonte, l’huile, le bois, cela est nécessaire à la prospérité d’une usine ou d’une mine. Tous les manufacturiers intelligens, — et le nombre s’en accroît chaque jour, — sont pénétrés de ces vérités. Aussi voit-on s’introduire dans nos ateliers une série de mesures ingénieuses pour stimuler au plus haut point chez l’ouvrier l’énergie et l’économie dans le travail.

On a d’abord eu recours à des gratifications ou à des récompenses qui étaient distribuées aux ouvriers les plus méritans, c’est-à-dire à ceux qui avaient le plus fait d’ouvrage en moins de temps, et qui avaient le plus réduit la proportion des déchets à la matière fabriquée. Quelques industriels, comme la maison Bonnet, de Lyon, prenaient aussi la qualité des produits en considération pour la distribution de ces prix. On s’efforçait, d’un autre côté, d’intéresser le point d’honneur de l’ouvrier par des distinctions purement morales. C’est ainsi que dans la manufacture de soieries de Jujurieux l’on met des étendards près des métiers des jeunes tisseuses qui se montrent le plus assidues et le plus actives. Dans quelques usines, l’on a imaginé d’afficher au milieu de l’atelier les tableaux de paie, et l’on dit que cette mesure a stimulé l’énergie des travailleurs ordinairement les plus indolens. C’étaient là des procédés d’une efficacité trop restreinte, qui avaient aussi le tort d’être complètement arbitraires. L’on n’a pas tardé à les perfectionner et à les généraliser, de manière à en faire une institution régulière.

Le système des primes est devenu aujourd’hui d’une application fréquente, c’est un des élémens habituels d’une exploitation prospère. Aussi simple en pratique qu’en théorie, il se combine admirablement avec le travail à la tâche, et il en est le complément naturel. On sait en quoi il consiste. On détermine la production moyenne d’un ouvrier ou d’un groupe d’ouvriers pour la journée, la semaine ou la quinzaine; lorsque, par un surcroît de soins ou d’activité, un travailleur dépasse cette production normale, il reçoit non-seu-