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données à l’ouvrier pour un surcroît de production ou pour une économie de matières premières n’encouragent, nous dit-on, que l’effort isolé, non l’effort collectif; elles stimulent les bons ouvriers qui peuvent espérer de les obtenir, elles sont sans action sur les ouvriers médiocres ou inférieurs qui ne sont pas en état de fournir une tâche supérieure à la moyenne. Si cette objection a quelque portée, les combinaisons dont le salaire est susceptible permettent de remédier à ce défaut. L’on a organisé en effet, dans un certain nombre d’établissemens, un système de primes collectives qui sont décernées, non plus à tel ou tel travailleur, mais au personnel même de tel ou tel atelier dont la production dépasse une moyenne déterminés. L’on citerait beaucoup d’exemples de ce mode de règlement de la main-d’œuvre. Les mines et usines de MM. Dupont et Dreyfus, à Ars-sur-Moselle, ont adopté ce régime; cependant c’est surtout dans les papeteries qu’il fonctionne et donne des résultats remarquables. M. Laroche-Joubert, le grand fabricant de papier d’Angoulême, aujourd’hui député au corps législatif, a le mérite d’avoir porté cette organisation au plus haut degré de perfection. Son usine ne produisait que 25,000 kilogrammes de papier par mois : il déclara que, toutes les fois que ce chiffre serait dépassé, l’ouvrier aurait un supplément de salaire de 1 franc par 1,000 kilogrammes. La production monta bientôt à 35,000, 45,000 et même 50,000 kilogrammes de papier par mois. La rétribution de l’ouvrier fut notablement accrue. Les papeteries du Pont-de-Claix (Isère) suivirent bientôt cet exemple. L’on comprend en effet que le personnel de l’établissement soit singulièrement provoqué au travail par ce supplément de salaire : ce n’est pas seulement l’ardeur particulière de chaque ouvrier, c’est l’émulation, c’est la surveillance mutuelle, qui se trouvent puissamment stimulées. Un pareil régime a tous les avantages de la participation aux bénéfices; aussi a-t-on pu le confondre avec elle. M. Laroche-Joubert lui-même s’y est mépris. Dans une séance du corps législatif, il a préconisé son système comme l’association des ouvriers aux profits de l’entrepreneur; c’est cependant là un terme inexact. Dans la papeterie d’Angoulême, le personnel ouvrier reçoit des primes collectives, fixées en raison de l’accroissement de la production; il ne prélève pas une part des bénéfices de fin d’année : c’est en proportion du travail fait, non pas des quantités vendues, des prix de vente ou des profits encaissés, qu’il est rémunéré. Ainsi sa rétribution dépend uniquement de ses efforts et non de l’habileté de la gestion. Il est dégagé par conséquent de toute préoccupation, et n’a aucun prétexte pour vouloir contrôler ou inspirer la conduite des affaires. Ces primes collectives accordées à tout un atelier ne sont nullement inconciliables avec les