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Ces faits démontrent en pratique la complète exactitude de nos observations. Dans une usine où le capital occupe une place prépondérante, par exemple dans une filature de coton où, d’après des évaluations sérieuses, la main-d’œuvre ne formerait pas plus du dixième du prix des produits, où la surveillance du patron et des contre-maîtres est aisée, où la division du travail est parfaite, où le salaire à la tâche, les primes à la production et à l’épargne des déchets sont d’un fonctionnement régulier et mathématique, de quelle importance peut être cette combinaison nouvelle que l’on appelle la participation? L’ouvrier n’est-il pas excité autant qu’il le peut être par ces gains accessoires, fixes et prochains, qu’il dépend de lui, et de lui seul, d’obtenir? Quoi! l’on s’imagine que le travailleur qui aura été insensible à l’attrait exercé par la perspective du gain immédiat que le travail à la tâche, les primes à la production ou à l’épargne des matières premières lui peuvent procurer se laissera fasciner par le mirage d’un bénéfice éventuel, problématique, de quelques francs en fin d’année, alors surtout qu’il se rend compte que la distribution de ce mince dividende dépend non pas de sa seule énergie, mais de celle de tous ses camarades? L’esprit humain est rebelle à des appâts aussi incertains. Il lui faut une proie plus substantielle pour stimuler son ardeur et provoquer ses efforts. Ce ne sont pas d’aussi imperceptibles leviers qui peuvent soulever le poids redoutable de l’inertie et de l’incurie humaines.

Le système de la participation aux bénéfices conçu comme mode général d’organisation du travail, c’est non-seulement une utopie décevante, mais aussi une utopie dangereuse; il contient un ferment de discorde et un principe dissolvant. Beaucoup de publicistes regardent ce nouveau régime comme destiné à rétablir l’harmonie, l’accord entre tous les élémens de la production, l’union intime de toutes les forces sociales. C’est être la dupe des mots. Le meilleur moyen de concilier les hommes, l’expérience journalière nous l’apprend, ce n’est pas d’enchevêtrer leurs intérêts, de les obliger à se rendre mutuellement des comptes, de compliquer leurs relations d’affaires. N’est-ce pas une vérité banale, exploitée souvent par le théâtre, que les querelles, les brouilles, parfois même les haines, sont fréquentes entre associés de commerce ou d’industrie? Malheureusement il semble qu’il suffise de parler des plus importantes questions de notre temps pour avoir le droit de perdre de vue les données les plus élémentaires, les leçons les mieux constatées de la vie. On a fait au régime de la participation deux reproches principaux : l’un, de constituer une association léonine en contradiction avec tous les principes de la science et de la justice,