Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne saurait être suspect à la démocratie même la plus avancée, M. Cernuschi, parlant de la participation aux bénéfices, raillait spirituellement « ces chercheurs de solutions nouvelles de la question dite sociale, qui vont en avant avec une bonne foi ; une illusion semblable à celle qu’ont les chercheurs de truffes au pied des chênes. » Ce ne sont pas seulement des déceptions, ce sont de véritables et sérieux dangers que l’on s’expose à rencontrer dans cette’ voie. « Les masses ouvrières ont à lutter contre les rigueurs de leur position, disait récemment M. Hippolyte Passy. Ces rigueurs, elles en souffrent et s’en plaignent ; mais d’ordinaire elles les supportent d’autant plus courageusement qu’elles les croient plus fermement n’être qu’un effet des hasards auxquels soit soumises les choses de ce monde. Il n’en est plus ainsi quand on vient leur affirmer qu’il est possible de les alléger ou de les supprimer à l’aide de nouvelles combinaisons économiques, et qu’il suffirait, pour réaliser ces combinaisons, du bon vouloir de ceux à qui on les propose. Dans ce cas, c’est en éveillant l’idée qu’elles sont victimes des injustices des hommes, susciter chez elles de tristes irritations et ajouter largement aux amertumes qu’enfante inévitablement la comparaison de leur sort avec celui des classes qui en ont un meilleur. » Ces paroles sont d’un sage. L’on n’est que trop porté de notre temps à encourager les illusions qui règnent dans les classes ouvrières ; on entretient ainsi une fermentation qui est pleine de menaces. Les honnêtes gens devraient s’imposer plus de prudence, il y aurait une grande utilité sociale à éviter les exagérations et les hyperboles. Quand des écrivains consciencieux et instruits décrient le salaire et vont presque jusqu’à le comparer à l’esclavage antique, quand ils proposent des remèdes infaillibles et des panacées, comment la conscience populaire ne se trouverait-elle pas aveuglée ? Il n’y a que trop de vulgaires ambitieux qui répètent aux oreilles du peuple souverain les paroles que Villeroi adressait au jeune Louis XV, et qui, lui montrant le capital et les bénéfices qu’il procure, lui disent : Tout cela, sire, est à vous ; de tout cela, vous êtes maître. Ces flagorneries de vils courtisans font un devoir a tous les hommes de sens et de caractère de veiller sur leur langage, et de ne laisser échapper aucun mot qui puisse être invoqué à l’appui de ces coupables suggestions.


PAUL LEROY-BEAULIEU.