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grat, et cependant je ne le suis point. Le fait est que de tout ce qui s’est passé durant ma maladie, il ne me restait que le plus vague souvenir comme d’un songe fiévreux. Il me semblait bien vous avoir vue auprès de mon lit, arrangeant mes coussins et me donnant à boire. Je me rappelais votre scène avec la femme que vous savez… ; mais tout cela était si confus, si peu clair, que je le repoussais comme de folles rêvasseries. N’avais-je pas reçu votre lettre, dans laquelle vous me donniez un congé formel ? Sans doute votre hôtesse venait chaque jour s’informer de moi ; mais bien d’autres envoyaient aussi leurs domestiques. Pure politesse ! pensais-je. Je ne pouvais donc songer à faire la moindre démarche pour me rapprocher de vous, je craignais même d’exciter votre courroux en vous écrivant un mot d’adieu. Jugez donc quelle fut ma surprise lorsque hier, rencontrant la dame sans nerfs, j’appris d’elle que ces prétendus rêves sont des réalités, que vous avez été ma libératrice, ma garde fidèle et dévouée, que votre cœur généreux m’est venu en aide, oubliant ce qui nous avait séparés, ce qui avait si tôt rompu nos relations. Je puis à peine vous exprimer ma reconnaissance ; le sentiment de la honte m’écrase quand je regarde en arrière. Déjà hier j’ai voulu venir m’expliquer, mais vous étiez sortie. Ne Vous a-t-on pas dit que j’avais frappé deux fois à votre porte ? Peut-être auriez-vous préféré ne pas me revoir. Votre intérêt ne s’attachait qu’au mourant. Ah ! maintenant que je dois vivre, pourquoi faut-il qu’une parole irréfléchie m’éloigne de vous ? Je pars demain, et la contrainte que vous cause mon voisinage disparaîtra pour toujours !

Je ne sais ce que je répondis, je ne puis dire comment il se fit que ma main se trouva dans les siennes, et qu’il m’appela de nouveau : « Marie ! » Ce fut comme une musique ravissante, comme un glorieux éblouissement. Combien cela dura-t-il ? Je l’ignore ; mais il me semblait être morte sans peine, sans douleur, et revivre au-delà du tombeau dans une éternelle béatitude.

— Viens, me dit-il, tu es prête pour sortir ; allons faire nos visites de fiançailles.

Puis il prit mon bras et me conduisit d’abord au rez-de-chaussée dans l’atelier du tailleur, où le patron et ses deux ouvriers nous regardèrent tout ébahis, tandis que sa digne femme, tenant à la main une bouilloire qu’elle allait mettre au feu, se mit à chanter mes louanges de telle façon que je ne pus m’empêcher de rire au milieu de mes larmes. Ensuite nous allâmes faire un tour dans les boutiques, où Morrik achetait maintes inutilités, disant : — Vous enverrez cela chez ma fiancée, dans la maison du tailleur, au troisième étage, le plus rapproché du ciel. — Au Wassermauer, nous