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litisme socialiste de fantaisie, et ils commencent par la défigurer dans ses goûts, dans ses idées, dans ses mœurs, jusque dans son langage. Il y a déjà quelque temps qu’ils se sont mis à l’œuvre pour convertir le monde à leur séduisante politique, et pendant les huit jours de pleine liberté qu’ils ont eus avant le plébiscite, ils ont surtout déployé une verve telle que le gouvernement, avec la meilleure volonté, ne pouvait leur demander une plus utile propagande en sa faveur. Ils auraient été payés pour cela qu’ils n’auraient pas mieux fait. Que veut-on que pense le pays de ces déclamations violentes ? Le pays recule, parce que la France après tout veut rester la France, et il s’en va tout droit à l’urne où l’on vote pour la monarchie. La gauche aurait pu certainement jouer un rôle utile pour la cause qu’elle défend, honorable pour elle-même, en se séparant du clan démagogique. Malheureusement elle n’y a pas songé ou elle a craint de se compromettre ; elle a fait toute sorte de manifestes, excepté celui qu’elle devait faire. M. Gambetta seul a prononcé quelques paroles d’un bon sens énergique dans un discours, et il a écrit une lettre pour désavouer les doctrines spoliatrices. M. Jules Favre, lui aussi, nous a envoyé d’Afrique un discours où il répudie les tentatives de la force. Pour les autres, nous ne savons trop ce qu’ils ont fait, ou plutôt nous nous trompons. Un des députés de la Seine qu’on croyait un peu plus homme d’esprit, M. Jules Ferry, a laissé croire un peu trop longtemps qu’il pouvait écrire dans ses lettres le faubourg Antoine, le comité Antoine, et dans une réunion un autre député de Paris, porteur d’un nom illustre, laissait récemment subordonner ce nom à celui d’un homme que la justice jugera comme elle l’entendra, mais qui dans tous les cas n’a jusqu’ici d’autre recommandation que le meurtre d’un agent de la force publique. Il ne faut pas se brouiller avec les tout-puissans héros des réunions populaires.

On commence pourtant bien à sentir aujourd’hui la faute qu’on a commise, et par un honorable retour quelques-uns des journaux de l’opinion démocratique avouent qu’on a eu tort de paraître pactiser avec des folies : ils rudoient assez vertement la queue de leur parti. C’est un fort bon sentiment pour l’avenir ; mais c’est il y a six mois, il y a un mois qu’il aurait fallu parler ainsi ; maintenant le mal est fait. Si la gauche veut reprendre position et devenir un parti sérieux, il faut évidemment qu’elle suive un autre chemin, et qu’elle commence par dégager absolument ses opinions de toutes les solidarités compromettantes ; il faut même jusqu’à un certain point qu’elle change de langage. Jusqu’ici, elle a eu trop souvent des procédés d’éloquence tout trouvés sur le 2 décembre, sur l’asservissement de la France. Ce sont désormais des thèmes un peu usés qu’il faudra laisser à M. Emmanuel Arago. Le 2 décembre 1851 disparaît derrière le 8 mai 1870, et M. Ernest Picard, sans être d’ailleurs très content, vient de le dire avec une parfaite