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elle ne ferait que compromettre de nouveau la sécurité qu’on vient de se créer. D’ailleurs on est désormais suffisamment armé contre une réaction, si on le veut bien ; mais le danger, c’est que cette force qu’on vient d’acquérir soit gaspillée dans l’irrésolution, qu’elle s’épuise dans une politique traînante, c’est qu’on se prélasse dans une victoire sans résultats. On nous a demandé un vote, nous l’avons donné par un simple instinct de patriotisme, et nous avons d’autant plus le droit d’être difficiles sur l’usage qu’on doit faire de cette victoire. On n’a pas certainement à exiger de M. Émile Ollivier qu’il remue tout à la fois, qu’il porte la main sur tout, ce qui est le plus souvent le moyen de ne rien faire, nous l’avons vu pendant les premiers mois du cabinet du 2 janvier ; mais on a tout au moins le droit de lui demander de ne point laisser s’effacer le caractère libéral des récentes transformations et de se mettre résolument à l’œuvre, de réaliser enfin ces programmes des premiers jours, qui n’ont pas disparu, que nous sachions, dans la fumée de la bataille plébiscitaire.

En un mot, le vote du 8 mai une fois acquis, il faut reprendre ce travail d’acclimatation de toutes les libertés régulières en France, il faut se hâter d’aborder d’un esprit ferme tous ces problèmes politiques, économiques, qui s’agitent aujourd’hui, et ici, nous en convenons, ce n’est pas le ministère seul qui est en cause. Le ministère nous doit de savoir bien lui-même ce qu’il veut, de ne pas faire de sa politique un roman coupé de péripéties toujours nouvelles. Les partis, à leur tour, se doivent à eux-mêmes, et ils doivent au pays de se grouper, de se discipliner, s’ils ont l’intention de faire une réalité des institutions parlementaires, si l’on veut enfin que la liberté ne soit pas un vain mot ou une menace. Ce sont les partis surtout qui viennent de passer par une véritable crise ; on ne sait plus trop aujourd’hui où ils en sont, et il est fort possible que dans les prochaines séances du corps législatif on voie d’étranges combinaisons. Dans tous les cas, il y a des déplacemens inévitables qui produiront peut-être d’abord une certaine confusion. Centre droit, gauche modérée, centre gauche, où sont maintenant les limites entre tous ces groupes qui commençaient à se multiplier singulièrement ? Le plébiscite a un peu renouvelé la situation de tout le monde, il faut l’avouer, et c’est parce que la situation est nouvelle pour tous qu’il faudrait peut-être faire un peu de nouveau. La vérité est que toutes les subdivisions anciennes où se complaisent les vanités et les amours-propres sont un peu usées, elles ne répondent à rien de bien sérieux, et au lieu de petites églises où s’enferment quelques importances, le mieux serait qu’en dehors de toutes ces vaines et artificielles démarcations il se formât enfin un véritable parti libéral. Nous avons l’air de dire une plaisanterie et de demander une chose qui existe, mille voix sont prêtes à l’attester. Rien n’est cependant plus sérieux, et rien ne serait plus nécessaire dans la