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cette pauvre mère représentée par la joyeuse Mme Ugalde, la Virginie du Caïd et le Roland des Bavards. Cet éclat de rire légèrement galvaudé, remontant sur le premier théâtre de ses succès pour y grimacer l’élégie en deuil, ne laissait pas d’avoir son côté pittoresque; personne autour de nous ne voulait le prendre au sérieux, on se disait : C’est une charge. Se figure-t-on en effet Mme Ulgalde en matrone gémissante, et berçant dans des voiles de crêpe un bébé fantastique? Ajoutons cependant que la situation, pour récréative qu’elle soit, a le tort de se reproduire trop souvent; on n’en a jamais fini avec cette complainte qui certes n’eût pas demandé mieux que de ressembler à la berceuse du Pardon de Ploërmel, et n’est au demeurant qu’une insignifiante psalmodie. Vous l’entendez au commencement et à la fin du premier acte, vous la retrouvez au second, car elle est la mélodie télégraphique au moyen de laquelle la pauvre mère et la pauvre fille correspondent à travers les pampas. Puissance ineffable des sons, mystérieuse et sympathique électricité de l’harmonie, quels services ne rendez-vous pas aux mortels en détresse! Une mère affligée exhale un douloureux motif du fond de sa litière, qui l’emporte vers la capitale du Pérou, et cet appel, recueilli par la brise, va réveiller au cœur de la jeune sauvage les plus doux souvenirs de son enfance! C’est ainsi, par le seul charme de la mélodie, que deux âmes séparées se retrouvent ou plutôt croient se retrouver, car, à vrai dire, la Fleur qui chante n’est point la fille de la bonne dame péruvienne : celle dont Mme Ugalde est la sainte mère mourut jadis égorgée par les Peaux-Rouges. Telle est la vérité sur cette catastrophe; seulement, pour donner une ombre d’espérance à Mme Ugalde, on a pointé le fameux motif de ralliement dans le gosier de la fille des pampas; dès que la matrone liménienne entame sa romance, la Fleur qui chante y répond aussitôt par le second couplet, et l’illusion durerait encore, si le fils de la bonne dame ne s’était avisé d’aimer Akansie. Pour épouser Juarès, il faut que la Fleur qui chante ne soit point sa sœur, circonstance prévue par les auteurs, qui du reste s’en expliquent devant le public au dénoûment, préférant briser le cœur de cette malheureuse femme plutôt que de laisser un frère et une sœur brûler l’un pour l’autre d’une flamme incestueuse.

De pareilles pièces ne s’analysent pas sérieusement; autant vaudrait se confondre en révérences devant les magots d’un paravent de la Chine. Même chose peut se dire de la musique. Qu’un auteur trouve bon de réunir ses amis pour leur faire entendre de semblables compositions, personne n’y saurait contredire; mais on ne nous persuadera jamais qu’un théâtre comme l’Opéra-Comique soit sans reproche lorsqu’il les admet ainsi de plein jeu. Quel est le mérite de cette partition? quelle raison lui vaut l’honneur d’être représentée de préférence à tant d’autres? D’idée mélodique, pas une ombre, et, comme style, cette habileté de main cent