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ministre des affaires étrangères, van der Goes[1], honnête et bon citoyen, attaché aux principes de la révolution, mais pénétré de la nécessité de rapprocher les honnêtes gens des divers partis et d’assurer à son pays une existence vraiment nationale. Il avait manœuvré dès les premiers temps du consulat de manière à faire agréer par l’Angleterre, la Prusse et la France un projet de neutralité garantie par ces trois puissances, et dont la première conséquence eût été le départ des troupes françaises. Il avait à peu près réussi à Londres et à Berlin ; mais la grande difficulté, il le sentait bien, était à Paris. Aussi concentrait-il ses efforts autour du premier consul et de Talleyrand pour les disposer en faveur de ce projet, et il était, du moins il se croyait secondé par le ministre batave Schimmelpenninck, avec qui, en dehors des relations officielles, il entretenait une correspondance officieuse des plus actives. Telle était l’idée qu’à tort ou à raison les Hollandais se formaient de la vénalité des personnages politiques de la France consulaire que l’on songeait sérieusement à rassembler les sommes destinées à acheter la connivence de Talleyrand et même celle de Mme Joséphine Bonaparte, dont on connaissait les goûts dépensiers et l’influence, assez difficile à comprendre, mais positive, qu’elle savait exercer sur l’esprit de son tout-puissant mari[2].

Malheureusement pour les auteurs de ce projet de neutralité, il était trop diamétralement opposé aux plans et aux calculs de Bonaparte pour que le succès en fût un instant probable. D’ailleurs, sans qu’on ose rien affirmer sur un point qu’aucun document n’éclaire, on peut douter que Schimmelpenninck, tout attaché qu’il fût à son pays, secondât sans arrière-pensée les efforts de van der Goes. C’est un caractère étrange et de définition difficile que celui de cet homme d’état, remarquable par ses talens administratifs, ses lumières, la sincérité de son patriotisme, mais qu’un historien impartial ne saurait absoudre du reproche d’avoir eu pour le pouvoir et ses prérogatives un faible qui l’a parfois entraîné à des actes dont la dignité de son caractère n’est pas toujours sortie sauve. Un tel jugement paraîtra peut-être sévère en Hollande, où la mémoire de Schimmelpenninck est restée populaire. Il est certain qu’une fois parvenu à la plus haute position qu’il pût désirer dans son pays, il déploya un zèle et une capacité dignes de grands éloges. Lorsque la république dut cesser d’exister, il descendit fièrement du pouvoir, et demeura inaccessible à toutes les avances du roi étranger que la politique impériale imposait à son pays ; mais on peut lui

  1. Prononcer G’ous, g dur aspiré.
  2. Ce sont les notes manuscrites dont j’ai parlé plus haut qui me fournissent ce curieux détail.