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par ses sympathies et ses opérations commerciales, et la conclusion était : choisissez, ou le prince Louis pour roi, ou l’annexion[1].

Schimmelpenninck fit part à ses ministres de cette dure alternative. Fallait-il saisir le corps législatif, alors assemblé, des propositions impériales ? De quel droit leurs hautes puissances pourraient-elles délibérer sur un objet inconstitutionnel et dépassant à ce point leur compétence ? Il eut alors recours à un moyen terme qu’autorisaient des précédens de l’histoire du pays. Il rassembla chez lui, sous le titre de grande-besogne, une sorte de consulte officieuse composée des ministres, des conseillers d’état, des principaux magistrats et de membres de leurs hautes puissances, pour conférer sur les résolutions à prendre. C’est à cette assemblée qu’il suggéra l’idée d’adresser un manifeste à la nation et d’inviter le peuple tout entier à voter par oui ou par non sur le projet de l’empereur. Il y eut des voix pour et contre. Tous étaient antipathiques au projet au point qu’un ou deux étaient tentés de préférer l’annexion pure et simple à un semblant d’acceptation ; mais tous aussi prévoyaient que le peuple, mis ainsi en demeure de se prononcer et ne calculant pas les conséquences d’un vote négatif, se prononcerait pour le refus. Faudrait-il alors braver le pouvoir colossal devant lequel l’Europe tremblait et dont les soldats étaient encore dans le pays ? On n’osa pas. S’il était certain que le peuple, invité à voter, dirait non, il était moins sûr que, fatigué, découragé comme tout l’annonçait, il se résignât aux terribles sacrifices qu’entraînerait une pareille résolution. On voulut encore se flatter d’enrayer une volonté qui désormais ne connaissait plus de frein. On se dit que l’empereur, bien et dûment éclairé par des renseignemens dignes de toute confiance, aurait à la fois trop de sagesse et trop de magnanimité pour imposer un roi de sa famille à un peuple dont il avait solennellement garanti l’indépendance. Il fut résolu qu’on enverrait à Paris une commission de cinq notables chargée d’insister auprès de l’empereur pour qu’il renonçât à un dessein décidément contraire aux intérêts comme aux inclinations d’un peuple qu’il avait mainte fois assuré de sa bienveillance, que toutefois, s’ils échouaient dans la première partie de leur tâche, ils devaient stipuler avant toute autre négociation des garanties nouvelles pour l’in-

  1. Tout cet exposé de la négociation poursuivie entre les deux gouvernemens de France et de Hollande est tiré de la biographie de Schimmelpenninck, écrite avec beaucoup de soin par son fils, et où les détails que nous reproduisons sont appuyés par des documens de première main et des pièces, officielles réunis à la fin de l’ouvrage. Nous n’y avons ajouté que quelques traits empruntés aux Mémoires de Ver Huell, qui prit une part active, mais assez louche, à tous ces pourparlers. Ce dernier ouvrage a été rédigé par le neveu de l’amiral, sur les notes laissées par son oncle, en deux volumes, à Amsterdam, en 1847.