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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/568

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aussi bien par délégation sous la forme monarchique que sous la forme républicaine. Le gouvernement du pays par le pays, pour être effectif et réel, a-t-il donc besoin de se traduire par une action immédiate ? À ce compte, il n’y aurait de démocratie que le jour où l’on établirait l’intervention directe et permanente du peuple dans les affaires de l’état ; mais où cela s’est-il jamais produit depuis les petites républiques de l’antiquité, qui étaient bien moins des démocraties véritables que des aristocraties ? La vie politique est complète, quelle que soit la forme du gouvernement, là où le peuple nomme librement ses représentans, décide par eux du sort des ministères, exerce par eux sur les pouvoirs publics un contrôle efficace, là enfin où par la représentation nationale, par la discussion, par la presse, l’opinion publique se fait jour, soumet toutes les responsabilités à une juridiction qui, pour être indirecte, n’en est pas moins celle du pays lui-même, juge en dernier ressort des fonctionnaires les plus élevés, et maître suprême, quand il le veut, des affaires publiques, qui sont ses propres affaires. En tout cela, où y a-t-il l’ombre d’une aliénation de la souveraineté ? Ceux-là seuls pourraient le soutenir qui sont encore partisans du gouvernement direct du peuple par le peuple, c’est-à-dire les plus dangereux utopistes, reniés par la démocratie sérieuse.

Pouvons-nous admettre comme principes absolus, indiscutables, des propositions du genre de celle-ci : qu’un peuple n’a jamais le droit de s’engager à une dynastie, qu’il est obligé, sous peine d’injustice flagrante, de se tenir toujours libre à l’égard du présent et de l’avenir, par cette raison que tout engagement dynastique est une portion cédée de sa souveraineté, et qu’un peuple, en le faisant, disposerait d’un patrimoine qui ne lui appartient pas, liant par un contrat injuste des volontés qui n’existent pas encore ? Mais sait-on bien où nous conduiraient de pareilles propositions, où la logique pourrait nous mener dans cette voie ? Si ce sont des principes absolus, il n’y a pour eux ni nationalité ni frontière ; ils exigent une réalisation immédiate, sans discussion préalable, sans atermoiement, sans transaction, partout où il y a des hommes réunis. Les violer, c’est commettre un crime de lèse-humanité. Qu’on passe la mer au plus tôt, et qu’on aille les promulguer, comme l’axiome indiscutable de la raison, devant la nation la plus politique de l’univers, chez les Anglais ! Qu’on aille sérieusement soutenir devant eux qu’il y a crime pour un pays à stipuler sur sa propre souveraineté, à engager les générations futures. Comme ils seront charmés d’une pareille prédication ! Comme ils se montreront sensibles aux scrupules de ces bonnes âmes qui souffrent de ce crime national en permanence, la maison royale d’Angleterre ! Comme ils s’empresseront de faire justice de cette institution surannée, à la-