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LA VRAIE ET LA FAUSSE DÉMOCRATIE.

de l’héroïque Lincoln, causa tant d’alarmes et d’humiliations à ceux même qui l’avaient porté par leur libre suffrage à la vice-présidence de la grande république. Il n’y a qu’un moyen d’empêcher le suffrage universel de se lier à quelque choix indigne : c’est de décréter que le chef du pouvoir exécutif sera élu chaque matin, qu’il déposera son pouvoir chaque soir, et qu’après avoir consacré sa journée aux affaires, il viendra rendre ses comptes à l’assemblée populaire et s’offrir au verdict du peuple. En dehors de cette forme si sage et si politique qui assure la mobilité perpétuelle des personnes dans la perpétuité des fonctions, je ne vois pas d’application rigoureuse du principe.

Mais voici une autre conséquence inattendue. Ce qui serait vrai de la forme monarchique serait également vrai et au même titre de toutes les institutions et de toutes les lois. Que l’on me cite une loi qui n’implique pas de la part de la nation une façon quelconque de lier sa volonté personnelle et celle des générations futures, l’obligation de se soumettre à cette décision, c’est-à-dire de céder une part de cette souveraineté, laquelle n’existe, d’après l’école radicale, qu’à la condition d’une autonomie absolue et permanente, maintenue libre de tout engagement et pour le présent et pour l’avenir ! Ainsi la contradiction sera la même de légiférer ou de fonder une dynastie. Comme dans les deux cas on lie le présent et l’avenir, on cède dans les deux cas une part de la souveraineté. Le même raisonnement qui renverserait les trônes s’appliquerait avec la même logique à détruire les codes, un système de lois engageant les générations futures comme peut le faire une dynastie. Nous voici donc logiquement amenés à soumettre toute chose à la condition du renouvellement incessant et universel, les institutions et les lois comme les formes du pouvoir. Tout ce qui porte un caractère de permanence et de durée sera au même titre et inexorablement condamné. La mobilité des institutions doit être organisée de manière à suivre dans leur mobilité les résolutions du peuple, qui peut en changer à chaque instant. L’idéal d’une pareille démocratie serait l’absence de tout pouvoir durable et de toute loi fixe. La logique le veut ainsi. Reste à savoir si, en nous conduisant jusque-là, ce n’est pas à la barbarie qu’elle nous mène par la voie de ces beaux syllogismes.

La vraie, la seule manière de respecter la souveraineté nationale, c’est de la laisser choisir à sa guise la forme de gouvernement qui convient le mieux à ses intérêts, à son milieu intellectuel et social, au tempérament de la nation en un mot. Pourvu qu’elle ne s’aliène. pas elle-même en livrant des droits qui doivent lui être sacrés, en cédant ce qu’elle ne doit jamais céder, sa juste intervention dans les affaires publiques et son juste contrôle sur la manière