les forces accumulées du nombre par lequel elle s’exprime, ne peut rien non-seulement sur les droits imprescriptibles des minorités, mais sur le droit de l’individu, premier élément des sociétés. L’unanimité moins un des membres d’une communauté politique ne saurait prévaloir contre un seul qui serait retranché dans l’inexpugnable conscience de son droit. La question est de bien définir ce droit en tant qu’il est inviolable, de le mesurer exactement, de l’enfermer dans sa sphère et de le garantir en ne l’exagérant pas. Or c’est là, je n’en disconviens pas, la principale difficulté de la science politique. D’une part, il y a tendance marquée du droit individuel à sortir de sa sphère, à déborder sur le domaine social, à entraver le mécanisme des institutions, en jetant tout au travers les prétentions injustes et les résistances d’une personnalité exagérée. D’autre part, il se rencontre toujours un secret instinct d’oppression dans chaque force sociale, dans l’élément du nombre, par exemple, qui exprime les forces sociales à leur plus haut degré de puissance. La majorité numérique d’un peuple doit se garantir avec d’autant plus de soin des excès de son propre pouvoir qu’elle représente la force matérielle en même temps que la volonté de ce peuple. Or elle peut trop aisément confondre cette volonté avec la justice. C’est là un genre d’illusion singulièrement redoutable ; le nombre incline toujours plus ou moins à se prendre non-seulement pour l’expression de la volonté nationale, mais, ce qui est fort différent, pour l’organe du droit, que dis-je ? pour le droit lui-même. Et de cette erreur presque naturelle, presque fatale, que de conséquences désastreuses peuvent sortir !
Prenons un exemple pour préciser notre pensée, le droit de propriété. C’est celui de tous qui est le plus en péril en face de la majorité numérique, par cette raison toute simple qu’il y a un nombre infiniment plus grand de pauvres que de riches dans toutes les démocraties, quelles qu’elles soient, en Europe ou en Amérique. De douloureuses expériences, qui se continuent tous les jours sous nos yeux, ne nous permettent guère d’ajourner à un avenir indéfini les conflits éventuels de la majorité qui n’a rien et de la minorité qui possède. Déjà les conflits s’établissent sous mille formes, grèves, associations internationales, trade’s unions, systèmes socialistes qui n’attendent que l’occasion propice pour s’imposer à l’expérimentation sociale. Au milieu de toutes ces misères actuelles et sous la menace de ces collisions futures, qu’il est difficile de définir les limites du droit social et du droit individuel, surtout d’en imposer l’inviolable respect à ces masses souffrantes qui s’agitent sur ces frontières ! Il le faut bien pourtant sous peine de voir sombrer nos sociétés démocratiques dans le plus profond abîme. Quelle œuvre délicate que d’enseigner aux majorités leur devoir le plus rigou-