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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous ne discuterons aucun de ces systèmes, qui tous contiennent quelque curieux élément d’étude pour le législateur. Notre intention était seulement de mettre dans tout son jour le problème par excellence de la politique contemporaine : la conciliation nécessaire du droit de l’individu avec la force des majorités. La garantie du droit individuel, voilà le critérium de la vraie démocratie. Il est là et non pas ailleurs. L’erreur de l’école radicale est de déplacer ce critérium et de le mettre dans telle institution politique plutôt que dans telle autre. Ni en théorie, ni en fait, la démocratie n’exclut aucune forme de gouvernement, sauf l’absolutisme, celui du souverain comme celui du peuple. Elle peut se réaliser d’une manière fort tolérable et sans aucune contradiction avec ses principes dans une monarchie constitutionnelle aussi bien que dans une république. En tout cas, elle ne consent à faire de la forme des gouvernemens qu’une question secondaire. Elle place au premier rang des intérêts politiques la représentation loyale de la souveraineté et la garantie du droit individuel, s’arrangeant parfaitement du régime parlementaire, s’il devient évident que ce régime assure les meilleures conditions au maintien et à l’équilibre nécessaire de ces intérêts primordiaux, mais sans répudier pour cela l’institution républicaine, l’ajournant seulement à l’époque plus ou moins éloignée où la république sera en mesure de rassurer tous les intérêts légitimes et de regagner la confiance de la nation en s’affranchissant de solidarités funestes. La seule chose que la vraie démocratie exclut comme incompatible avec son essence, c’est tout ce qui entrave ou diminue la personnalité humaine dans le libre déploiement de ses énergies, dans les applications diverses de son activité légitime. Le développement intégral, le degré d’excellence relative auquel peut arriver l’être humain, voilà ce qui juge en dernier ressort toutes les formes politiques et sociales. La valeur d’une démocratie se mesure sur la valeur pratique, intellectuelle et morale des individus qu’elle produit. Là où elle ferait peser sur l’individu l’injuste niveau d’une égalité brutale, là où elle entraverait l’essor d’une seule faculté, là enfin où un seul individu souffrirait dans la libre expansion de ses forces, ce serait le symptôme d’un mal organique qui mettrait en péril tôt ou tard l’existence même de la société.

E. Caro.