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EXPLORATION DU MÉKONG.

de la mission nous faisait un devoir d’aller porter nos hommages à ce vieillard, parvenu au terme d’une longue carrière que la persécution faillit plus d’une fois abréger. Arrivé en Chine à la fin de la restauration, M. Ponsot n’a jamais revu la France. Il a passé depuis lors sa vie dans les montagnes du Yunan, et c’est sur des sommets presque inaccessibles que nous allons chercher le palais épiscopal. Les mandarins chinois, qui ont longtemps poursuivi les missionnaires, sont aujourd’hui impuissans à les protéger. Ceux-ci se défendent eux-mêmes contre les invasions des sauvages, offrant à l’occasion, même aux Chinois non chrétiens, un abri derrière leurs murs, que les Manseu évitent d’approcher de trop près. Ce sont cependant de terribles ennemis que ces Manseu embusqués sur les frontières du Setchuen et du Yunan. En une seule année, ils ont dit-on, massacré ou réduit en esclavage plus de mille voyageurs. Intempérans et féroces, ils se gorgent dans leurs repaires de viandes et d’eau-de-vie, fruits de leurs rapines ; quand ils sont repus, ils dorment comme des boas et se remettent bientôt après en campagne. Jaloux de leur indépendance, ils ne recherchent aucun appui en dehors de leurs tribus, et ont exterminé une bande détachée de l’armée des Taï-pings sans songer à faire alliance avec ceux-ci contre le gouvernement impérial. La nécessité de se défendre, et surtout de protéger les nombreux enfans qui viennent chercher à Long-ki et au collège de Chen-fon-chan une instruction libéralement distribuée, a développé chez certains missionnaires des qualités qui étonnent sous leur costume ; leur activité, leur vigilance et leur bravoure m’ont fait souvenir de ces types immortels fournis par nos ordres militaires au roman et à l’histoire. Le clergé catholique indigène se recrute en partie parmi les élèves de ces établissemens. À Chen-fon-chan, sur seize jeunes gens admis et élevés dans cette maison hospitalière, un seul en moyenne entre dans les ordres ; le cœur formé sur les principes de la morale chrétienne, l’esprit façonné à l’européenne par l’étude du latin, les autres sont employés dans les missions à des titres divers ou viennent, libres des préjugés de leur race, se mettre en relation avec les étrangers dans les ports ouverts au commerce européen.

Cette dernière excursion achevée, la rivière de La-oua-tan, servant notre impatience, nous emporte avec une rapidité furieuse. Nous franchissons des passages où l’eau, resserrée entre des roches, subit une très sensible dépression. Une rame établie à l’avant de la jonque sert de gouvernail dans ces sortes de rapides, où un faux coup de barre suffirait pour provoquer une catastrophe. Bientôt après le fleuve s’élargit, et devant Souitcheou-fou il a l’aspect d’un bras de mer. Nous avions pour toujours quitté le Yunan. En