Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/616

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
610
REVUE DES HOMMES.

qui vivaient du travail de leurs esclaves les emmenaient avec eux, et savaient qu’ils en tireraient partout un bon revenu. Les pauvres, qui n’avaient ni correspondans, ni amis, ni esclaves, craignaient de s’éloigner ; d’ailleurs l’attachement au sol natal est si grand dans tous les temps qu’on voit les villes détruites par des fléaux constans se relever à la même place. C’est ainsi que Portici s’étend au-dessus d’Herculanum, et que Torre del Greco, onze fois brûlée par les courans de lave, a été onze fois rebâtie ; on y a même ajouté une poudrière. Un certain nombre de citoyens s’unirent donc pour refaire une autre Pompéi, profiter des immunités que leur assurait le fisc impérial, et fouiller à l’aise les maisons sans maîtres que l’édit de Titus leur abandonnait. Le municipe possédait plus haut, sur le Vésuve, un territoire que la cendre n’avait point atteint et qu’on pouvait labourer. Protégés par les magistrats romains, aidés par les curateurs que l’empereur avait envoyés, ces Pompéiens fondèrent une nouvelle ville, plus chétive, située au nord de l’ancienne. M. Fiorelli a signalé les ruines de cette quatrième Pompéi[1], et M. Ernest Breton nous avertit qu’elles ont été reconnues entre Bosco reale et Bosco tre Case[2]. Il paraît en effet qu’on a découvert en ce lieu des ruines trop considérables pour être celles d’une villa ; on aurait dit un gros bourg fait à la hâte, avec des matériaux très divers, sans art, à une époque de décadence. Par un contraste singulier, les objets en marbre et en bronze, les lampes et les ustensiles qu’on recueillait dans le même lieu, avaient une élégance et un style bien supérieurs, qui rappelaient le premier siècle de notre ère. On s’explique cette opposition, si l’on admet que la mauvaise architecture est le fait de pauvres gens qui ont réédifié et entretenu jusqu’au Bas-Empire leur humble cité, et que les belles sculptures, les meubles, les œuvres d’art, provenaient des fouilles de l’ancienne ville.

Il paraît même certain que des travaux réguliers d’investigation furent conduits par les magistrats du nouveau municipe. Le forum, par exemple, a été dépouillé méthodiquement de son dallage en travertin ; quelques dalles engagées sous les piédestaux sont seules restées comme un témoignage ; toutes les autres ont été emportées pour parer la place de la cité nouvelle. De même les colonnes de la basilique, celles du portique d’Eumachia, qui est contigu au forum, les revêtemens de marbre, tant des édifices que des piédestaux de

  1. Giornale degli Scavi di Pompei, 1861, p. 57. Les trois Pompéi qui ont précédé sont : 1o la ville des temps antéhistoriques que je suppose ensevelie sous les premières éruptions, 2o la ville renversée en 63 par un tremblement de terre, 3o la ville qui nous a été conservée par l’éruption de 79.
  2. Pompeia, 3e édit., p. 20.