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publics. Enfin Pompéi, remplie surtout par des pierres ponces, assez grosses et assez anguleuses pour laisser partout des interstices, est un sol peu favorable au moulage, parce que la surface des objets n’y laisse qu’une empreinte raboteuse et imparfaite ; Herculanum est un immense moule, où l’agent le plus pénétrant, l’eau, a porté partout les matières les plus subtiles, les a tassées par dépôts continus, sans secousse, sans interruption, préparant pour la postérité, dès qu’elle saurait s’en servir, les images fidèles et saisissantes de tout ce qui a peuplé, constitué, décoré, meublé une cité antique.

C’est donc à Herculanum que la méthode si simple, mais si féconde de M. Fiorelli pourra surtout s’appliquer. C’est là que cet habile explorateur rencontrera des cadavres finement moulés, avec leurs traits, leur beauté et tout le détail des ajustemens ; c’est là qu’il saura découvrir les planchers, les plafonds, les portes, les fenêtres, les armoires, les siéges, les lits, les coffres, toute une menuiserie consumée par le temps, dont le plâtre prendra aussitôt la place et fera revivre les formes. Les moulures, si délicates qu’elles soient, auront laissé leur marque ; chaque fois que la pioche de l’ouvrier s’arrêtera à propos, on pourra couler dans les orifices qui se présenteront un mélange liquide qui, en durcissant, reproduira la boîte à fard, les sculptures d’un coffret de toilette, le roseau du scribe, les tablettes du poète, la planche sur laquelle le peintre avait ébauché son tableau, en un mot les produits les plus raffinés de l’industrie, même quand elle employait des matières que la terre devait décomposer. Des peintures nouvelles ou même des bronzes semblables à ceux qu’on a déjà excitent moins notre convoitise que toutes ces révélations, qui jetteront sur la vie antique un jour absolument nouveau. M. Fiorelli pourra également, avec la prudence qu’il montre à Pompéi et les procédés de consolidation qu’il emploie, soutenir les étages supérieurs, les chambres à coucher, les terrasses, les toitures peut-être ; il nous rendra dans leur intégrité des maisons qui sont enfouies dans toute leur hauteur et qu’aucune main n’a touchées depuis dix-huit siècles. L’auberge qui se voit aujourd’hui à l’extrémité d’Herculanum a été en partie ruinée par ceux qui la fouillaient, et présente cependant trois étages.

Devant de telles espérances, ma conclusion sera nette : il faut abandonner Pompéi et concentrer les efforts et les ressources sur Herculanum. Pompéi a donné à peu près tout ce qu’on doit en attendre, je crois l’avoir prouvé ; Herculanum a été ravagée çà et là, mais non explorée. Qu’on laisse à Pompéi une dizaine d’ouvriers pour continuer les fouilles sur quelques points ; ils dégageront par exemple, l’extrémité de l’agora grecque (forum triangulaire), ils rechercheront auprès de l’amphithéâtre le monument que repro-