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des instincts. Contraste singulier, c’est depuis qu’on parle le plus d’indépendance intellectuelle que l’imitation archaïque s’est le mieux mise en crédit, ou que l’effigie brute de la réalité a été présentée avec le moins de scrupules comme la fin suprême des beaux-arts ! D’une part la contrefaçon des monumens du passé, depuis les peintures italiennes ou flamandes du XVe siècle jusqu’aux galanteries françaises du XVIIIe, — de l’autre le portrait servile de la matière, en un mot, pour employer l’argot du temps, le style bric-à-brac et le réalisme, tels sont les deux termes auxquels ont abouti tant de prétendues réformes, entreprises au nom de la nouveauté et du progrès. Que faire à cela ? Travailler, nous l’avons dit, à réagir contre les vanités on les méprises par des institutions meilleures, par une doctrine plus ferme, par une méthode d’enseignement plus foncièrement philosophique, en attendant qu’il plaise à Dieu de nous envoyer quelque grand maître pour achever d’avoir raison de nos erreurs et pour dissiper toutes les équivoques.

Si, à l’exception d’une figure dont nous parlerons tout à l’heure, les tableaux exposés par les peintres français en 1870 ne fournissent guère d’exemples de ces innovations hardies, de ces intempérances même dans la manière qui peuvent être pour l’avenir une espérance ou une promesse, elle offre, au point de vue de l’habileté acquise et des intentions, plus d’un résultat digne d’éloges, plus d’une œuvre sérieusement méritoire. C’est à cette classe d’œuvres recommandables surtout par les études qu’elles ont coûtées et par le bon vouloir qu’elles attestent, qu’appartient la grande toile sur laquelle M. Tony Robert-Fleury a représenté le dernier jour de Corinthe. On se rappelle le très légitime succès obtenu, il y a quatre ans, par le jeune peintre de Varsovie en 1861. Ce succès, M. Robert-Fleury le retrouvera-t-il aujourd’hui ? L’émotion vraiment communicative que son pinceau avait réussi une première fois à exprimer s’est-elle traduite avec la même certitude dans cette autre image des tortures et de l’agonie d’un peuple ? Nous ne le croyons pas malgré le talent et la générosité des efforts que résume ce nouvel ouvrage. Sans doute il faut tenir compte de la différence entre les caractères dramatiques des deux sujets. Des actes de cruauté ou de violence qui remontent à vingt siècles ne sauraient nous apitoyer aussi sûrement que des désastres voisins de nous, que des scènes de deuil dont nous avons été en quelque sorte les témoins. Ces victimes, vêtues comme nous, attendant la mort sur le pavé de rues comme les nôtres, ces fils et ces filles de la civilisation moderne et du christianisme outragé, parlent à notre âme avec une bien autre éloquence que les souvenirs de la domination romaine et que les victimes de Mummius. Suit-il de là toutefois que celles-ci ne puissent reparaître à nos yeux qu’à titre de corps plus ou moins savamment