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l’espace et du chemin ordinaires. N’y eût-il que ces exemples des inconvéniens inhérens au système actuel, ils seraient à notre avis concluans, et suffiraient pour ôter désormais aux meilleurs artistes de notre école l’envie de courir de pareilles chances, de s’exposer à un pareil traitement. N’est-ce pas là au reste le parti que la plupart d’entre eux ont déjà pris ? Sauf M. Lehmann, M. Cabanel et M. Guillaume, aucun des peintres ou des sculpteurs appartenant à l’Académie des Beaux-Arts n’a jugé à propos d’exposer cette année. Comme les membres de l’Institut, MM. Gleyre, Baudry, Laugée, Fromentin, Gendron, Français et plusieurs autres se sont abstenus. Bientôt les plus résignés perdront courage, les plus opiniâtres quitteront la partie, et le Salon, livré à peu près exclusivement aux débutans, ne sera plus qu’un champ pour les humbles essais, sinon même tout simplement un champ de foire.

Si nous croyons devoir mentionner les deux tableaux de M. Puvis de Chavannes, — la Décollation de saint Jean-Baptiste et la Madeleine au désert, — c’est en mémoire des premiers efforts de l’artiste et des gages qu’il avait autrefois fournis, c’est pour l’exhorter à réparer au plus vite les torts de moins en moins véniels de son talent. Il serait temps, car ce talent, plein de promesses au début, ne représente plus guère depuis quelques années que la négation systématique des conditions les plus nécessaires de l’art. On se rappelle, au dernier Salon, ces deux grandes toiles sur lesquelles, pour figurer la vie naissante et l’activité commerciale de la ville de Marseille, le peintre semblait avoir pris à tâche d’amortir jusqu’à l’effacement tout ce qui aurait pu animer le ton ou la forme. Un dessin laborieusement vide, un coloris malingre à force de raffinemens, une ordonnance éparpillée et comme noyée dans l’espace, — voilà ce qui donnait aux récens ouvrages de M. de Chavannes un caractère d’autant plus fâcheux qu’on se souvenait mieux des espérances qu’avaient paru autoriser jadis la Paix, la Guerre et plusieurs autres compositions remarquables. Les deux tableaux qu’il nous montre aujourd’hui ne sauraient qu’accroître les regrets de la critique et de ceux-là même qui avaient cru d’abord pouvoir le mieux augurer de lui.

La critique au contraire méconnaîtrait ses devoirs, si elle marchandait à un peintre étranger, M. Matejko, les encouragemens et les éloges. L’Union de Lublin, exposée par lui cette année, ne marque pas seulement un progrès sur les tableaux de sa main qu’on avait vus à Paris en 1865 et en 1867, et qui représentaient des scènes du même ordre. De toutes les œuvres appartenant au genre historique que contient le palais des Champs-Elysées, celle-ci est la meilleure, la plus fortement conçue. L’unité de la Pologne et de la Lithuanie, proclamée à Lublin en 1569 par le roi