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produites cette année comme les années précédentes. Il faudrait plusieurs pages pour dresser la liste de tous les tableaux de genre agréables qui figurent à l’exposition de 1870, — depuis les sujets militaires, traités par M. Protais avec un sentiment quelquefois voisin de la poésie, par M. Détaille avec une précision de pinceau presque digne de M. Meissonier, jusqu’aux scènes de mœurs villageoises ingénieusement peintes sur d’assez grandes toiles par M. Delobbe ou, dans des dimensions plus restreintes, par M. Berne-Belle-cour, — depuis les scènes empruntées à l’histoire, au roman ou au théâtre par MM. Comte, Pille et Olivié, jusqu’aux études faites d’après la nature contemporaine, à Rome par M. Sautai, dans les rues de Paris par M. Charles Brun. Que serait-ce si au catalogue des travaux de nos compatriotes se joignait le dénombrement de ceux qu’ont envoyés de Belgique les disciples ou les continuateurs de Leys, d’Allemagne les imitateurs de M. Knaus, de Suisse, d’Italie, d’Espagne, de Russie même, des talens de tous les âges et de tous les degrés ! Toutefois parmi ces-produits de l’art étranger il en est un que la critique ne saurait indiquer d’un mot, encore moins passer sous silence, parce qu’il révèle en même temps qu’un grand talent un instinct dramatique qui ne recule pas devant l’horrible : nous voulons parler de cette composition lugubre, véridique comme un procès-verbal, effrayante comme un mauvais rêve, que les Derniers momens d’un condamné à mort en Hongrie ont inspirée à M. Munkacsy.

Devant une petite table recouverte d’un linge blanc bordé de noir, appareil d’un deuil anticipé, en face du crucifix et de deux cierges aux lueurs funèbres, le misérable que la justice humaine a condamné est assis, immobile sous le poids de ses fers et sous le poids plus cruel encore des souvenirs et des terreurs qui écrasent son âme. Sans regard pour ceux qui l’entourent comme pour l’image du Dieu de miséricorde, il vient d’user ses dernières forces, de proférer son dernier blasphème en lacérant le livre de prières qu’on lui avait tendu et qu’il a rejeté à ses pieds ; maintenant, cadavre vivant, il attend dans l’inertie du désespoir l’heure prochaine où il achèvera de mourir. Derrière lui, sa femme sanglote contre la muraille, tandis qu’à quelques pas son pauvre enfant isolé, oublié même de sa mère, n’ose ni bouger de la place où on l’a laissé, ni relever la tête pour voir et tâcher de comprendre ce qui se passe. Rien de plus tristement expressif, rien de plus navrant que l’aspect de ce petit être en haillons, orphelin avant la mort de son père et pressentant instinctivement le malheur autour de lui ; rien de moins équivoque non plus ni de mieux rendu que la sombre curiosité des assistans et la diversité des impressions produites sur eux par le