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qu’il pousse parfois jusqu’à une véritable candeur. On a de la sympathie pour ce vaillant athlète de tribune qui s’est trouvé être un jour le chef désigné d’un grand mouvement libéral ; mais en même temps, que M., le garde des sceaux ne s’y trompe pas, il inspire plus de goût que de confiance ; on croit plus à son talent d’orateur qu’à la sûreté de son esprit ; on est quelque peu déconcerté souvent par la légèreté et la mobilité, qu’il porte dans les affaires, et on n’est point rassuré du tout par cette aisance avec laquelle il passe d’une résolution à l’autre désavouant un jour les candidatures officielles pour demander le lendemain aux fonctionnaires une « activité dévorante » » tantôt excitant, le parti conservateur à s’organiser, tantôt dissolvant les comités, qui cherchent à se fonder sur la foi de sa parole. M. Émile Ollivier ne manque pas d’habileté quand il le veut, dit-on ; malheureusement, s’il est habile dans certaines crises intimes, il n’a pas toujours une parfaite mesure d’attitude et de propos. Il parle trop, il s’agite trop, et il se laisse aller trop volontiers à faire de la politique de fantaisie, au risque d’avoir l’air de ne pas toujours savoir où il va, ni ce qu’il veut.

On ne peut vraiment le nier, M. Émile Ollivier, par une jalousie de pouvoir bien étrange ou par pure étourderie, vient de traiter assez cavalièrement le sénat ; le sénat s’est un peu fâché, et l’aventure a fait du bruit. Pourquoi, dans la solennité plébiscitaire du Louvre, M. le président du sénat a-t-il gardé un silence qui a été remarqué ? C’est un secret qu’on a cherché à pénétrer, et on n’a pas dit le mot de l’énigme ; la vraie raison, c’est que M. le garde des sceaux, qui sans doute ne se souciait pas d’entendre ce jour-là l’ancien ministre d’état, a revendiqué le droit de soumettre le discours du président du sénat au conseil des ministres. Était-ce bien un droit pour le gouvernement vis-à-vis du président d’une des assemblées délibérantes ? Toujours est-il que M. Rouher ne s’est point cru obligé à subir le visa ministériel, et voilà pourquoi il s’est tu, mais ce n’est là qu’un premier froissement. Voici où l’affaire devient plus curieuse et plus grave. Le gouvernement avait l’intention de nommer de nouveaux sénateurs, le décret était même déjà tout préparé, et on avait eu l’idée singulière de mettre dans le décret un article portant que le traitement des nouveaux hôtes du Luxembourg serait réglé par une loi ultérieure. On avait tout simplement oublié que, même en matière de dotation sénatoriale, un décret ne pouvait suspendre une loi existante, et renvoyer à une loi qui n’est pas faite. Comment se tirer de là ? M. le garde des sceaux, pour trancher la difficulté, s’est empressé alors d’envoyer au corps législatif un projet fixant pour l’avenir à 15,000 francs l’indemnité annuelle des nouveaux sénateurs sans toucher à la dotation des anciens. C’est bien pire encore, on en conviendra. Cette étrange combinaison, qui n’est pas exempte de ridicule, aurait pour effet, d’établir des catégories au Luxembourg, de créer des « séna-