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rances certes étaient vaines, le découragement est tout aussi étrange. Il est clair que ceux qui comptaient sur la république démocratique et sociale pour le lendemain ont quelque raison d’être découragés et de répéter d’un ton lamentable que tout est à refaire. Ceux-là n’apprennent rien, n’oublient rien, et ce qu’ils appellent tout refaire, ce serait simplement recommencer la même campagne qui a si bien réussi. Pour les esprits sensés et sérieux de la gauche, le moment est véritablement décisif. Ils ont une politique toute tracée, toute naturelle, s’ils sont des hommes éclairés, comptant l’expérience pour quelque chose et sachant reconnaître les causes de leur défaite. Le meilleur moyen pour eux, ce serait de se rendre un compte exact des conditions nouvelles qui viennent d’être créées, de bien voir à la lumière du plébiscite ce que la France veut et ce qu’elle ne veut pas, et de ne point craindre après tout de se placer là où le pays lui-même se glace. On n’est pas en si mauvaise compagnie avec la volonté nationale.

Depuis quelques jours, il est vrai, on voit se dessiner vaguement certaines évolutions dans ce sens. La gauche est en travail, elle se divise pour se recomposer. Elle a commencé par désavouer les violences révolutionnaires. Le plébiscite a eu tout au moins le mérite de lui ouvrir les yeux, de lui montrer par une saisissante expérience le danger des équivoques et des solidarités compromettantes ; elle a rompu avec le bataillon tapageur des démagogues. Ce n’est pas tout ; aujourd’hui on s’interroge, on cherche à se réorganiser pour se remettre en marche. M. Ernest Picard cherche à rassembler autour de lui les élémens d’un parti qui n’est pas encore baptisé et qui s’appellera sans doute la gauche constitutionnelle. M. Gambetta s’en va seul à Belleville dans une réunion privée tracer le programme d’un nouveau radicalisme politique sur lequel il met encore par tradition l’aigrette de l’irréconciliabilité. Que sortira-t-il de tout cela ? Malheureusement dans ce camp troublé de la gauche on a des faiblesses comme partout, et même plus que partout. On veut et on ne veut pas ; on est ballotté entre le conseil secret de la raison et les habitudes, les préjugés, les engagemens de parti ; on ne peut point se résoudre à faire le pas décisif, à braver l’impopularité, et c’est ainsi que M. Picard lui-même, avec tout son esprit, semble fort perplexe dans sa diplomatie de chef de parti en expectative. Que s’est-il passé réellement dans la réunion tenue, il y a quelques jours, chez M. Ernest Picard ? Il n’est point douteux qu’il s’agissait de former, en dehors de l’ancien radicalisme, ce que nous appelions la gauche constitutionnelle, c’est-à-dire de se placer nettement sur le terrain de la constitution nouvelle en acceptant toutes les conséquences de cette situation. La tactique était hardie autant qu’opportune ; la combinaison était habile, elle pouvait, dans un temps donné, devenir des plus sérieuses, attirer quelques-uns des esprits les plus distingués du centre gauche,