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recommande à tous ceux qui, sans pratiquer ces sciences, tiennent à en saisir la portée philosophique et à en apprécier les élémens essentiels.


GASTON DE SAPORTA.



Tausend Seelen von Alexis Pisemski ; übersetzt von E. Kayssler ; Berlin 1870.


En Allemagne, la presse littéraire se pâme d’aise : elle a découvert Pisemski, elle le chante sur tous les tons ; c’est une nouvelle étoile qui se lève à l’horizon de la poésie russe. Voici donc enfin un romancier sans préjugés, réaliste jusqu’au bout des ongles ; il nous fera connaître la vie telle qu’elle est en Russie, sans rien voiler, sans rien taire ni omettre. Et de fait Pisemski n’y va point de main morte, il n’est crudité dont il n’ose assaisonner son récit. Le roman dont M. Kayssler vient de donner la traduction, — abrégée et émondée, — a pour titre Mille âmes. C’est une satire sanglante des mœurs de la société moscovite, et ce serait la peine d’en faire ici l’analyse détaillée, si nous ne l’avions pas faite il y a dix ans. On trouve dans la Revue du 15 janvier 1860 un curieux travail de M. Delaveau sur le roman satirique en Russie, et dans ce travail la biographie de Pisemski, suivie d’un, résumé de son roman. Nous n’avons donc plus à présenter Mille âmes à nos lecteurs, et nous pouvons nous borner à en rappeler en quelques mots la donnée. Un jeune ambitieux, Jacques Vassilitsch Kalinovitch, élève de l’université de Moscou, succède comme inspecteur d’une école de district au vieux Godniev, qui personnifie l’ancien temps avec ses mœurs patriarcales. Godniev a une fille unique, Nastenka Petrovna, qu’il a élevée lui-même, si cela peut s’appeler élever, car la petite Nastenka n’en fait qu’à sa tête, et passe son temps à lire de mauvais romans. Kalinovitch se trouve complètement isolé, dans la petite ville où il commence sa carrière ; il ne tarde pas à devenir l’hôte assidu de la maison de Godniev, où tout le monde le considère comme le futur de Nastenka. La jeune personne, de son côté, se donne corps et âme à celui qu’elle regarde comme un homme supérieur. Cependant Kalinovitch n’a pas été sans faire quelques connaissances. Le prince Yvan, qui est dans le roman le type d’une aristocratie sans principes, aux dehors brillans et aimables, introduit Kalinovitch chez une vieille générale très riche qui a une fille difficile à marier. Grâce aux conseils intéressés de son mentor, Kalinovitch s’habitue à envisager sans trouble la perspective d’un mariage avec Pauline, la fille de la générale, qui lui apporterait en dot une propriété estimée à mille âmes. Pour s’arracher aux difficultés toujours croissantes de sa situation, il part brusquement pour Saint-Pétersbourg, non sans avoir été forcé par Nastenka de demander sa main à son père. A Saint-Pétersbourg, il se voit bientôt au bout de son rouleau de 400 ou 500 roubles, et il tombe malade. Il se