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proposé par l’Autriche, et auquel la France, suivant lui, était sur le point d’adhérer, ne contenait autre chose que la confirmation du statu quo territorial de l’Europe, c’est-à-dire le résultat du traité d’Aix-la-Chapelle, dont Frédéric assurément n’avait pas lieu d’être mécontent. Il ajoute que Louis XV insista énergiquement pour faire comprendre en termes formels dans cette garantie la monarchie prussienne avec toute l’étendue que lui avaient apportée ses dernières conquêtes. Quel tort était donc réellement fait aux intérêts de Frédéric ? Tout au plus pouvait-il s’inquiéter pour l’avenir de l’intimité diplomatique établie entre son ancien allié et son ennemi d’hier ; mais c’était aussi pour lui en revanche un avantage qu’une nouvelle adhésion solennellement donnée par l’Autriche, sous les yeux de la France, à la perte de la Silésie. L’alliance de la Prusse avec l’Angleterre avait un caractère tout autre et de bien plus graves conséquences pour nous, car cette alliance survenait au milieu d’une guerre engagée, et en assurant au gouvernement britannique la tranquillité de ses possessions continentales elle lui permettait de concentrer contre les flottes françaises toutes ses forces financières et militaires. En un mot, Louis XV venait consoler dans sa disgrâce l’ennemi vaincu, subjugué, humilié, de Frédéric : c’était peut-être un léger tort d’amitié ; mais Frédéric courtisait l’ennemi présent, puissant, presque vainqueur de Louis XV. C’était un perfide abandon et une hostilité traîtresse à peine déguisée.

Aucun tort de forme ne manqua d’ailleurs pour envenimer le fond déjà si amer de l’injure. Frédéric y mit vraiment un plaisir de bravade et un luxe d’insolence, car il choisit pour faire éclater sa défection le jour même où Louis XV lui offrait, par un noble et sûr organe, le renouvellement public de leur vieille union. C’est un fait que Duclos lui-même ne mentionne qu’avec embarras. Au mois de décembre 1755, M. le duc de Nivernais, pair de France, grand d’Espagne, allié très proche du secrétaire d’état de la guerre, le maréchal de Belle-Isle, et comme tel placé très avant dans les bonnes grâces de Mme de Pompadour, fut envoyé à Berlin en grande cérémonie, chargé de la mission ostensible de renouer avec la Prusse tous les traités existans et en particulier de s’assurer de son concours dans la guerre avec l’Angleterre. Un négociateur de si haut parage n’était pas un homme de paille. Il ne s’exposait pas assurément lui-même et on ne l’exposait pas à son insu à être convaincu publiquement de duplicité ou de duperie. En tout cas, si Frédéric persistait à douter de la bonne foi de Louis XV, si les relations mystérieuses, vraies ou supposées, du cabinet de Versailles avec l’Autriche lui inspiraient une invincible méfiance, c’était le cas d’attendre jusqu’à ce qu’on eût pu couler à fond tout le différend par une franche explication. Frédéric préféra devancer la venue de