Versailles le roi, Mme de Pompadour et toute la cour jetaient feu et flamme contre ce qu’ils appelaient sans ménagement la défection du roi de Prusse. Aussi dès le 4 mars M. Durand devait-il prévenir l’ambassadeur que le comte Braniçki avait rappelé ses agens de Turquie et des provinces danubiennes, et décommandait ostensiblement tous les préparatifs de la confédération, le comte de Broglie eut beau presser, conjurer, menacer, faire parler au grand-général tantôt par sa femme et Mokranowski, tantôt par la princesse Lubomirska, sa sœur ; rien ne put empêcher le prudent seigneur de mettre en panne pour voir d’où le vent allait s’élever. De Paris en même temps, où l’incertitude semblait régner dans le conseil, le comte reçut l’ordre de suspendre toute démarche et de reprendre une attitude purement spectatrice.
Ainsi s’évanouissait en un jour le résultat de quatre années de travail. Le comte était outré, non découragé. Au contraire son cerveau, fermentant sous l’empire d’une irritation concentrée, enfantait projet sur projet. Enfin il accoucha d’un plan qu’il se décida à soumettre au roi à la fois par la voie officielle et par la voie secrète, et dont il fit confidence à M. de Rouillé en même temps qu’au prince de Conti. Suivant lui, il importait à l’honneur de la France de châtier, toute affaire cessante, l’insolence de son ancien protégé et de faire rentrer dans de justes bornes une puissance et une ambition débordantes. Pour mettre Frédéric à la raison, le concours de l’Autriche était nécessaire, il ne fallait pas hésiter à le provoquer ou à l’accepter. Seulement le comte ne dissimulait pas qu’un tel rapprochement avec l’Autriche offrait des dangers sérieux et de plusieurs genres. Ce qu’on pouvait craindre, ce n’était pas seulement de faire renaître une prépondérance qu’un siècle de combats et d’efforts avait suffi à peine à écraser, c’était encore et surtout de jeter dans le découragement tous les anciens cliens de la France, petits états d’Allemagne, Turquie, Suède, Danemark et principalement Pologne, qui, tous engagés avec nous dans cette lutte séculaire contre l’Autriche, pourraient se croire au premier moment abandonnés et sacrifiés. Pour parer à ce double inconvénient, un moyen simple se présentait et devait être saisi : c’était de promettre d’avance les dépouilles de la Prusse, non à l’Autriche elle-même (sauf peut-être la Silésie, qu’il faudrait bien lui restituer), mais à un des états secondaires du corps germanique. Or ce tiers était tout indiqué : c’était l’électorat de Saxe, dont le territoire, contigu à celui de la Prusse, pouvait naturellement être agrandi aux dépens de son voisin. En engageant dès lors Auguste III dans une ligue contre Frédéric, et en lui laissant espérer comme indemnité les futures conquêtes, on préparait les conditions d’un nouvel équilibre de l’Allemagne, faisant contre-poids tout aussi bien aux nouvelles