avec légèreté ou par intérêt, et de ne pouvoir pourtant pas me tirer du malheur de ma fausse naissance, car il ne cesse de se renouveler et de m’accabler ! » Jusque sur son lit de mort, elle parle d’elle-même comme « d’une échappée d’Égypte et de Palestine, » avec une résignation toutefois qui laisse deviner les souffrances passées. « Ce qui a été si longtemps pour moi la honte la plus grande, la douleur et l’amertume la plus amère, le malheur d’être née Juive, — je ne voudrais à aucun prix maintenant ne l’avoir pas subi. »
Ce malheur ne fut pas le seul qui pesât sur sa jeunesse. Son père, riche joaillier de Berlin, paraît n’avoir su mieux employer le grand esprit et le caractère inébranlable qu’il avait reçus de la nature qu’à tourmenter tous les siens : ses domestiques, ses amis, sa femme, bonne et faible, ses enfans. Ce despote à la volonté de fer, cruel et égoïste, mais avec toutes les qualités de ses défauts, essaya de bonne heure de briser le caractère de la frêle enfant chez laquelle il sentait une personnalité. Elle crut longtemps elle-même qu’il y avait réussi, oubliant l’élasticité infatigable de sa propre nature, qui se redressa toujours et ne garda de cette résistance que comme un esprit de révolte qui ne la quitta plus. C’est à cette école surtout qu’elle apprit le grand art de souffrir, qu’elle pratiqua plus tard avec une véritable virtuosité. Ses frères et ses sœurs, qui n’avaient point eu de peine à se soumettre, admirèrent sans la comprendre cette lutte opiniâtre de l’enfant, qui n’oubliait jamais le respect et la déférence. À la mort de son père, elle eut, il est vrai, des rapports difficiles avec un frère aîné, mais là encore elle l’emporta.
Elle avait eu d’autres causes de souffrance qu’une jeunesse incomprise, le hasard de la naissance, la dureté d’un père fantasque, une santé délicate. Les hommes clairvoyans parmi ses amis le sentaient bien. W. de Burgsdorf, qui la connut très jeune, conçut pour elle une admiration mêlée de pitié, « Quand je vous vis pour la première fois, lui écrivait-il, je fus frappé soudain par l’idée qu’une longue douleur devait vous avoir élevée. » Elle lui fut reconnaissante de cette pénétration, et le choisit pour son confident. « Je ne sais ce que c’est, lui répondit-elle ; mais il me semble, — il y a de longues années de cela, — que quelque chose ait été brisé en moi, et j’éprouve maintenant comme une joie maligne à la pensée qu’on ne peut plus briser ce quelque chose, ni le battre, ni le tirailler. J’ai comme un coin en mon intérieur où personne ne peut plus pénétrer ; mais quiconque a un de ces coins-là ne peut plus être heureux ! » On peut imaginer ce que fut l’amour dans ce cœur passionné, irritable, sincère. Deux essais d’amour ne lui avaient point réussi, et cette âme, qui croyait avoir tout souffert, était sortie meurtrie de ces épreuves. Ses amies, la comtesse Joséphine de Pachta et Henriette Mendelssohn, la sœur de Dorothée Schlegel, furent très