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donné lieu par ma conduite d’en soupçonner mon maître. Je conviens que le conseil de désarmer la Saxe (qui, malgré le peu d’opinion qu’on a peut-être avec raison de l’honnêteté du comte de Brühl, n’aurait pas réussi) était fait pour ruiner à jamais les affaires de la maison de Saxe, et qu’avec les vues que nous avons, on pourrait regarder ce malheur comme un avantage ;… mais, parce que sa majesté désire de mettre votre altesse sérénissime sur le trône de Pologne, est-ce une conséquence qu’elle veuille ruiner de fond en comble la maison électorale de Saxe, et d’une manière qui ne soutiendrait pas l’idée si bien fondée de la justice et de la générosité du roi ?… Du reste j’avais prévu tout ce qui arrive, je l’ai mandé, je n’ai cessé de demander des ordres ; j’ai fait connaître l’impossibilité de rester dans l’indécision où on était, et j’ai assuré qu’il en résulterait de grands inconvéniens. Toutes ces représentations ont été inutiles. L’inquiétude où était votre altesse sérénissime que des mesures à prendre avec sa majesté polonaise ne rapprochassent les deux cours a empêché sans doute qu’on ne se décidât à rien, et nous sommes arrivés au moment où il est devenu indispensable de prendre un parti… »

Enfin, laissant tout à fait éclater le fond de son âme, il offrait à peu près en termes formels sa démission plutôt que de subir le renouvellement des dégoûts auxquels on l’exposait. « Je vois, disait-il, que tous ceux qui sont employés à l’affaire secrète qui regarde votre altesse sérénissime sont condamnés à ne jamais faire autre chose. Je comprends que tous les changemens qui se font dans le ministère ne peuvent par cette raison jamais me regarder. L’abbé de Bernis va d’un bout de l’Europe à l’autre, reçoit toutes les grâces et est chargé de toutes les choses brillantes qui font la réputation. Pour moi, je travaille comme un forçat dans un puits, ignoré de tout l’univers, et le séjour qu’on me fait faire dans une pareille mission est bien fait pour décrier mes services. Je prie votre altesse sérénissime de juger si cela est agréable… Je suis sûr que c’est elle qui a empêché que sa majesté ne me destinât à la cour impériale, où M. de Rouillé et Mme de Pompadour m’avaient voulu faire aller, suivant ce que me mande mon frère… Je ne me plains pas de cette opposition relativement à moi, quoique je sente très bien la différence pour ma réputation et pour ma fortune d’occuper un emploi pareil dans l’occurrence ;… mais votre altesse sérénissime me doit la justice de convenir que rien ne m’a arrêté : j’ai hasardé et entrepris assez heureusement tout ce qui m’a été possible. Je dois après cela me tranquilliser, et ce ne sera pas sans besoin. La couronne de Pologne a déjà épuisé une partie de ma santé, et je la rechercherais pour moi-même, que ce ne pourrait être avec plus de peine et des soins plus suivis ;… mais… tout est dépendant d’un plan général, et