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pouvaient passer pour pays conquis. Il se borna, pour son royaume proprement dit, à ne lui donner force de loi que « pour autant que les mesures déjà en vigueur ne seraient pas suffisantes. » Les marchandises anglaises qui viendraient à être saisies seraient, non pas détruites, mais vendues au profit du fisc. Cette mesure avait du moins l’avantage de rapporter quelque chose au trésor et de ne pas priver la population de ce qui pour elle était le nécessaire. Il en écrivit franchement à l’empereur, qui fut, comme bien on pense, aussi mécontent que possible. Sa colère, ses menaces, excitées par les rapports souvent perfides d’agens secrets que sa police avait semés le long des côtes de Hollande et qui lui dénonçaient des infractions au blocus, même lorsqu’ils avaient vendu fort cher la promesse de les tenir secrètes, arrachèrent au roi Louis un mot d’une véritable profondeur sous sa forme triviale. Dans son étrange ignorance des effets de toute mesure douanière, ne comprenant pas qu’il est des lois de commerce et d’échange aussi inviolables que les lois physiques ou qui ne peuvent être violées qu’en apparence, parce qu’elles retrouvent leur application sous d’autres formes, Napoléon prétendait qu’il dépendait uniquement de Louis, dans un pays tel que la Hollande, de rendre tout commerce avec l’Angleterre impossible. « Empêchez donc la peau de transpirer ! » s’écria un jour le malheureux roi, à qui l’on voulait faire exécuter l’inexécutable[1].

Dans un moment d’irritation, Louis en vint à ordonner la fermeture des ports à tous les navires sans exception. Cette mesure, prise en hiver, au moment des gelées, cessa d’avoir son effet au printemps ; mais ce fut depuis lors entre les deux frères une série continue de récriminations, Napoléon blâmant Louis en termes violens de ce qu’il appelait sa faiblesse, Louis criant grâce au nom

  1. On a conservé en Hollande le souvenir d’un trait de contrebande assez piquant, remontant à l’époque où l’empereur, accompagné de Marie-Louise, vint séjourner quelque temps à Amsterdam. L’annexion était un fait accompli depuis un an. On avait saisi et brûlé des monceaux de marchandises anglaises ou tenues pour telles. Une armée de douaniers fourmillait le long des dunes, et Napoléon s’imaginait en avoir tout de bon fini avec la contrebande hollandaise. Ne voilà-t-il pas que des voix intéressées soufflent à l’oreille de Marie-Louise qu’il existe à Amsterdam des dépôts d’étoffes anglaises de grand prix ! La jeune impératrice est prise d’un désir fou d’en acheter. Pendant la nuit, des marchands sont introduits dans sa chambre. Le surlendemain, Marie-Louise et toutes les dames de sa suite avaient des robes, des châles, des dentelles, tout cela britannique. L’empereur s’en aperçut et fit une scène terrible à Marie-Louise, qui toutefois ne tarda pas à l’apaiser par quelques larmes, en faisant l’enfant gâté, en jurant qu’elle « ne le ferait plus. » C’était bien la peine de torturer son pauvre frère avec toutes ces histoires de contrebande, dont il le rendait personnellement responsable, pour que, dans son entourage le plus immédiat, l’empereur lui-même vit comment la contrebande, alléchée par de gros gains, se rit de toutes les mesures prises contre elle.