Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par là le meilleur de sa renommée personnelle. C’est aussi ce que les vieillards de la classe inférieure vous racontent tout de suite lorsqu’ils veulent dire du bien du roi Louis. J’ai encore vu de grossières images du temps, mais dont la grossièreté même atteste la popularité, le représentant à pied sur les digues ébranlées ou en canot sur les terrains submergés et dirigeant les opérations de sauvetage. Une collecte, dont le roi prit l’initiative et dont le résultat fut inespéré, surtout quand on pense à la diminution des fortunes, compléta la série de mesures destinées à relever la région inondée d’une ruine qui un moment avait semblé irréparable.

Peu de temps après, le roi de Hollande fut surpris par une nouvelle qui le laissa indécis entre la joie et l’inquiétude. Murat avait cessé d’être grand-duc de Berg (région de Clèves, Dusseldorf, Elberfeld) pour monter sur le trône de Naples. Il plut à l’empereur d’investir du grand-duché vacant le fils de Louis, prince royal de Hollande depuis la mort de son frère aîné, et cette investiture paraissait au premier abord très avantageuse. Quand il succéderait à son père, le jeune prince pourrait adjoindre à son royaume héréditaire une contrée fertile, industrieuse, limitrophe, et dont les habitans en majorité parlent un allemand qui ressemble bien plus au hollandais qu’à la langue de Berlin ou de Dresde ; mais il était dit que les bienfaits de Napoléon auraient toujours un côté douloureux pour son frère Louis. L’enfant royal n’était pas en Hollande. Il grandissait à Paris près de sa mère Hortense, et l’empereur, par le même décret, se réservait formellement « la garde et l’éducation du prince mineur, » et tout cela avait été arrangé, convenu, décrété, sans même qu’on eût averti par un seul mot son père le roi de Hollande. Il n’était pas possible de lui faire plus amèrement sentir le peu de cas que l’on faisait de lui. Par quelle malheureuse idée de représailles, au moment où l’empereur lui donnait lieu de se plaindre à juste titre de cet inconcevable manque de procédés, fut-il amené à donner suite à un projet qu’il couvait depuis son arrivée au trône, et qui consistait à créer une noblesse hollandaise à l’instar de celle que Napoléon avait instituée en France ? Nous reconnaissons ici le faible du roi pour tout ce qui pouvait rehausser l’éclat extérieur de sa cour. La noblesse héréditaire en Hollande avait depuis longtemps cédé à l’ascendant de la bourgeoisie, et ne représentait plus rien dans l’état. Louis n’avait point assez d’argent pour doter les nobles qu’il créait ; par conséquent il se condamnait ou à n’accorder des titres qu’aux personnes assez riches pour les porter convenablement, ou à créer gratuitement la classe toujours embarrassante des gentilshommes pauvres[1]. C’est ce que l’empereur

  1. Parmi les dispositions qui caractérisaient ce singulier projet, il y en avait une d’après laquelle, au bout d’un certain temps, les titres de noblesse eussent été attachés à la possession de terres érigées à cet effet et dont le roi disposerait, mais de telle sorte qu’à la mort de chaque titulaire ces terres rentreraient dans le domaine de la couronne, à moins que l’un de ses fils ne fût jugé digue par ses services de succéder à son père.