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de sa propre industrie, et qu’en définitive créer ou développer chez soi des foyers de travail national est plus sensé que d’alimenter outre mesure le travail des autres nations. De là ce retour d’opinion né avec la guerre et qui persiste malgré la paix, de là des tarifs excessifs succédant à des tarifs presque nominaux, une fiscalité savante qui agit comme un crible sur les produits, chargeant les uns, écartant les autres, distinguant ce qui sert de ce qui nuit, faisant un choix dans les applications et se souciant peu des théories. Voilà les Américains du Nord, un peuple positif, s’il en fut. Quelle leçon pour nous et quel exemple à suivre ! Ainsi concluent la plupart des dépositions recueillies dans le cours de l’enquête parlementaire.

Ce langage ne pèche que par un point ; il exagère les faits et se trompe de date. L’état des esprits en Amérique n’est plus tel qu’on le dépeint. Il est vrai qu’au moment de la rupture de l’union la majorité du congrès, résolue à vaincre, se fit des tarifs une arme de guerre contre le sud et un moyen de représailles contre l’Europe. Il est vrai aussi que, la paix venue, les manufacturiers qui font partie du congrès ont remplacé ces motifs de la première heure par un prétexte plus spécieux, le remboursement de la dette publique, et obtenu le maintien de tarifs élevés comme garantie de ce service ; mais peu à peu, dans les chambres et hors des chambres, le jour s’est fait sur ces questions, les voiles se sont déchirés. On a vu clairement que, poussés à outrance, les tarifs manquaient leur objet, cessaient d’être fiscaux pour devenir prohibitifs, et n’étaient plus, au lieu d’accroître les ressources du trésor, qu’un moyen de fortune pour quelques régions de la république, et, dans ces régions, pour quelques entrepreneurs d’industrie. A l’appui de ces faits venaient d’autres indices non moins significatifs : l’engourdissement du crédit, le chiffre presque stationnaire de la dette, si bien que depuis longtemps déjà les meilleurs esprits sentaient qu’on était engagé dans une fausse voie, et que les rancunes, survivant à la guerre civile, étaient habilement exploitées au profit de calculs personnels. Mise en éveil, l’opinion a donc réagi contre un état de choses qui n’a pour lui ni la tradition, ni la vérité, ni la justice : rude besogne, comme on le verra, mais qui, n’en déplaise aux gens qui citent en exemple le régime économique des États-Unis, est assez sérieusement entamée pour enlever au moins à cet exemple une partie de son à-propos.

C’est de ce mouvement tout récent et en partie ébauché que nous allons raconter l’histoire. Si les suites en sont encore confuses, l’intention en est claire : on ne veut plus souffrir qu’au moyen d’équivoques certaines industries privées battent monnaie avec les coins de l’état. Comme toujours, dans cette revendication, la parole a