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tribunes en plein vent au milieu de foules enthousiastes. Déjà en comité préparatoire ont été agités les points sur lesquels il y a lieu d’insister pour émouvoir la fibre nationale. Le mot d’ordre est de prendre cette fois la question par le vrai côté, puisqu’il s’agit de tarifs, le côté économique plutôt que politique. Pour rendre la matière facile à saisir, l’association a fait imprimer deux tarifs : le tarif anglais tenant tout entier sur un carré de papier de 6 centimètres de hauteur sur 5 de largeur, et le tarif américain, tel que le voudraient les partisans d’une réforme, sur un carré de papier de dimension à peu près égale, couvert au recto et au verso, tarifs en miniature, présentés comme des modèles du genre. Ces armes légères une fois distribuées, il s’agira d’aller au but.

Le grand point de mire sera non-seulement l’assiette, mais l’effet des taxes. Tout le différend est là, et il convenait d’y mettre un peu de méthode. D’abord et autant que possible, taxes modérées, ne dépassant que par exception un maximum déterminé. Ce maximum, pour une cause ou l’autre, est-il dépassé, il reste à s’assurer que le surcroît de taxe profite au trésor et non à des parasites qui font payer plus cher des produits souvent plus médiocres, abusent des positions qu’on leur livre et élèvent le ton à mesure qu’on leur cède. Où l’on croyait n’avoir que des cliens, on s’est donné des maîtres. A un autre titre, ce retour à des taxes modérées est de rigueur ; seul il mettra fin à un commerce interlope qui dépasse toutes les bornes et dont les industries régnicoles ont à souffrir autant que le fisc. On a vu M. Kelley se plaindre lui-même des déclarations frauduleuses que les agens de Sheffield font en douane sur la valeur de leurs aciers ; il n’est ni moins formel ni moins sévère au sujet de la contrebande effrontée dont les charbons, les bois de construction, les minerais de toute nature sont l’objet sur les frontières à peine délimitées qui séparent le Canada de l’Union américaine : mêmes opérations suspectes sur la ligne du Texas, dans les golfes déserts de la Floride, sur les îles du canal de Bahama, peuplées d’aventuriers, et le long des petits archipels qui bordent les deux Carolines. A mesure que l’augmentation des taxes montre en perspective plus de profits à recueillir, les introductions irrégulières gagnent du terrain sur les acquittemens réguliers, et frappent aussi bien les articles lourds que les articles légers, les métaux que les étoffes. Le trésor s’appauvrit de la sorte par les saignées que lui fait le plus détestable des trafics, celui de la fraude à front découvert, souvent à main armée. Les documens publiés par l’association de New-York contiennent là-dessus des détails significatifs : on n’y estime pas à moins d’un tiers, soit en poids, soit en valeur, le chiffre des produits qui se dérobent au paiement des taxes, et passent subrepticement sur le marché américain.