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valeur effective était donc doublée. 2 millions d’acres avaient été conquis sur la lande improductive et mis en valeur. Les salaires augmentèrent ; en moyenne, ils s’élevèrent de 1 franc à 1 fr. 25 cent. par jour. Les dépôts dans les banques, qui étaient de 150 millions en 1841, se trouvaient être de 375 millions en 1861. Pendant la même période, le revenu foncier monta de 300 millions à 375 millions. L’Irlande, qui du temps de Sismondi exportait régulièrement des denrées alimentaires tandis que ses habitans mouraient de faim, importait annuellement environ 4 millions de quarters de froment et de maïs, preuve certaine que la population était mieux nourrie, puisque la quantité totale des denrées alimentaires était accrue, et le nombre des bouches diminué de 2 millions 1/2. La consommation des articles qui répondent aux besoins d’une certaine aisance, le nombre des habitations convenables, les placemens en fonds publics, le produit des droits de succession, tous les chiffres qui peuvent servir à mesurer le développement de la richesse générale accusèrent un accroissement constant. En présence de ces faits, que révèle la statistique et que confirme l’aspect même du pays, il est impossible de nier que, depuis la famine de 1847, d’immenses progrès ont été accomplis.

Malheureusement, à partir de 1860, l’amélioration s’est arrêtée, et l’on parle même d’un déclin progressif. Les années humides de 1860, 1861 et 1862 occasionnèrent aux cultivateurs une perte d’environ 650 millions de francs en récoltes et en bétail, équivalente à deux années de la rente totale de l’île. Il s’en est suivi un grand découragement parmi les fermiers et les propriétaires. Pour échapper à l’inclémence des saisons, ces derniers se sont efforcés d’augmenter l’étendue des pâturages, qui se sont accrus de 560,000 acres, tandis que 400,000 acres étaient enlevés au terrain labouré. Pour arriver à ce résultat, il a fallu de nouveau recourir aux évictions ; Elles ont été moins nombreuses qu’on ne l’a prétendu, et la plupart ont été conduites avec humanité. Néanmoins quelques-unes ont présenté un tel caractère de rigueur, que M. Gladstone a pu dire qu’il regrettait d’avoir à y faire allusion, et qu’elles étaient les plus condamnables, « les plus coupables, » dont l’on eût souvenance. Ces évictions rallumèrent le feu des discordes sociales. Les vengeances et les crimes agraires recommencèrent. Bientôt le fénianisme, parti d’Amérique, vint y ajouter son déplorable contingent d’attentats et de terreurs. Les aspirations vers un partage plus égal des biens et vers une rénovation révolutionnaire de la société, qui aujourd’hui fermentent partout, prirent en Irlande une forme particulière. Le paysan voulait obtenir un droit sur la terre qu’il cultivait. La haine contre les propriétaires et contre l’Angleterre, qui les défendait, alla en croissant d’année en année. Au milieu de ces