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par une traduction française (1647 et 1649). L’ouvrage ne devait pas moins être bien accueilli dans la petite cour des Stuarts, et, s’il n’y trouva pas une faveur durable, Hobbes dut s’en prendre au secret catholicisme des princes et à quelque reste de souvenirs constitutionnels chez deux ou trois de leurs conseillers. Cependant il garda quelque temps leur bienveillance ; il vit même dans l’intimité celui qui devait être Charles II. Le duc de Buckingham a été accusé (ce nom devait être toujours funeste à cette dynastie) d’avoir corrompu l’esprit du jeune prince exilé. « Pour couronner l’œuvre, dit Burnet, il donna Hobbes à Charles sous prétexte de lui enseigner les mathématiques ; mais celui-ci lui développa en même temps ses doctrines tant sur la religion que sur la politique. Charles se pénétra si profondément des unes et des autres qu’il ne s’en débarrassa jamais depuis. C’est donc au duc de Buckingham qu’il faut attribuer les mauvais principes et les mœurs dissolues du roi. » Il y eut entre le jésuitisme et le hobbisme pour corrompre politiquement les deux derniers Stuarts un concours qui semble étrange, et qui néanmoins est parfaitement logique.

Cette philosophie de l’absolutisme fut alors affirmée et développée dans deux ouvrages, le Traité de la nature humaine (1650) et le Leviathan (1651). On sait que ce nom bizarre désigne le corps politique, corps immense et presque monstrueux, qui cependant se concentre et se personnifie dans le pouvoir, sorte de géant lui-même armé de toutes les forces de la société. Hobbes, exilé, corrigeait encore à Paris les épreuves de ce livre, qui s’imprimait en Angleterre, lorsqu’il en parla à Edouard Hyde, qui n’était pas encore lord Clarendon, et qui portait le titre de chancelier de l’échiquier, comme Charles Stuart celui de roi. Hobbes lui exposa une partie de ses idées, sachant bien, disait-il, que ce n’étaient pas les siennes. Hyde s’étonna qu’un si zélé partisan du pouvoir royal soutînt des doctrines qu’aucune monarchie régulière ne pourrait tolérer, et il lui demanda pourquoi il publiait un pareil ouvrage. Hobbes répondit d’abord par quelques plaisanteries, et finit par dire plus sérieusement : « La vérité est que j’ai envie de rentrer en Angleterre. » Hyde, quand le livre parut, trouva en effet que le résumé qui termine le Leviathan contenait, sous une forme adroite et détournée, un acte de soumission à Cromwell[1]. Il écrivit même

  1. L’auteur paraît en effet y soutenir la doctrine du gouvernement de fait. Il examine la question de savoir à quel moment, en cas de guerre civile, commence le devoir de soumission au vainqueur, et décide que c’est aussitôt que l’on consent à vivre sous son autorité. Il voit un lien nécessaire entre l’obéissance et la protection, et Cromwell a été protecteur (Leviat., conclus., Works, t. III, p. 705) ; mais pourtant Cromwell ne l’était pas encore quand le livre fut imprimé. Hobbes insiste sur cette circonstance dans une apologie personnelle, qu’il publia sous la restauration en réponse au Hobbius heautontimorumenos de Wallis (1662). Works, t. IV, p. 420.