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Dieu chrétien dont les lois sont l’objet d’une révélation prophétique. Il est vrai que ces commandemens mêmes paraissent avoir grand besoin, dans son système, de la sanction du souverain, et la religion naturelle ou chrétienne n’y semble qu’une lettre morte tant qu’elle n’est pas sociale et civile. Or une fois sur ce terrain, il ne donne plus à la religion en général qu’une origine profane. Il la dérive de certaines dispositions naturelles de l’homme qui n’ont rien de sacré. Il semble se complaire à signaler toutes les erreurs, toutes les absurdités auxquelles l’idée d’une religion aurait de tout temps conduit les hommes, tout en leur enjoignant d’obéir à celle qui est politiquement constituée. Du christianisme lui-même il admet l’autorité plutôt que la vérité. En cela comme en toutes choses, il ne voit que le fait et néglige le droit.

Philosophiquement, il se peut que Hobbes ne méditât aucune impiété, et que, sans éprouver pour toute foi naturelle ou surnaturelle un autre sentiment que l’indifférence, il se rapprochât plus qu’on ne croit de l’opinion de Hamilton, et voulût comme lui que l’on crût en Dieu, mais que l’on se gardât d’y penser. « Dieu est incompréhensible ; nous ne pouvons rien concevoir de lui sinon qu’il existe. » Que ces paroles soient sincères ou seulement prudentes, la philosophie de Hobbes n’admet logiquement rien de plus, et c’est une inconséquence s’il a paru quelquefois concéder davantage.

Le résumé le plus exact de la philosophie de Hobbes serait dans ces paroles qu’il adresse à Descartes : « que dirions-nous si peut-être le raisonnement n’est rien autre chose qu’un assemblage et un enchaînement de mots par ce mot est ? D’où il s’ensuit que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant la nature des choses, mais seulement touchant leurs appellations, c’est-à-dire que par elle nous voyons simplement si nous assemblons bien ou mal les noms des choses, selon les conventions que nous avons faites à nos fantaisies touchant leurs significations. Si cela est ainsi, comme il peut être, le raisonnement dépendra des noms, les noms de l’imagination, et l’imagination peut-être (et ceci selon mon sentiment) du mouvement des organes corporels, et ainsi l’esprit ne sera rien autre chose qu’un mouvement en certaines parties du corps organique. »

Tout ce qui vient d’être dit se rapporte à la philosophie naturelle en tant que distincte de la philosophie civile. Celle-là est proprement pour Hobbes la philosophie première ; elle contient tout ce qu’il sait, tout ce qu’il admet de métaphysique. Celle-ci traite de l’homme et de ce corps artificiel qu’on nomme la société.

Les facultés de l’homme ne sont pas seulement des principes de conception, elles sont aussi des principes d’affection. Sous ces deux rapports, elles ont pour origine ce mouvement qui produit la sensation, l’impression ou l’action sur les organes. — Ce mouvement