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droit généralement admis en Angleterre ne donnent pas une base très solide à la propriété foncière. Les jurisconsultes anglais sont unanimes à dire que la pleine propriété du sol n’appartient qu’à l’état. Les propriétaires ne sont que des tenanciers héréditaires de la couronne, et leur titre n’est qu’une tenture in fee under the crown. La notion de la pleine propriété du sol est si étrangère à la législation anglaise, qu’il n’existe pas de désignation légale équivalente aux termes de la loi romaine ou de la loi française. Cela ne doit pas nous étonner. La société anglaise et sa législation sont encore complètement féodales. Jamais on n’a voulu d’un code nouveau mieux approprié aux besoins de la société moderne. Or, d’après les maximes féodales, le suzerain ne concédait la terre que sous la condition du service militaire ou de certains services civils. Depuis la conquête des Normands jusqu’à la restauration des Stuarts, la plus grande partie du territoire anglais était possédée à titre de tenure militaire. L’obligation du service a été abolie, mais la nature du droit d’occupation de la terre n’a pas été changée. Ce point n’est contesté par personne ; c’est pour ce motif qu’aucun étranger ne peut, ni par achat ni par héritage, acquérir la propriété du sol en Angleterre. C’est une concession que le souverain ne peut accorder qu’à ses sujets, parce que seuls ils sont appelés à le défendre par les armes. Ainsi donc, comme le remarque M. Leslie, il n’est besoin d’aucun acte du parlement pour attribuer à l’état la propriété du sol ; la loi et la jurisprudence la lui reconnaissent[1].

Ce principe, conséquence du régime féodal que l’aristocratie anglaise a voulu maintenir, a déjà une certaine gravité, quoiqu’on ne veuille pas en tirer des applications actuelles ; mais ce qui pourrait avoir une importance plus immédiate, ce sont les idées générales que le gouvernement et les partisans du bill agraire irlandais ont invoquées pour en faire admettre la légitimité. Dans son travail sur l’Irlande, le juge Longfield soutient que la propriété de la terre est d’une nature particulière. « Si l’on admet, dit-il, que le fondement de la propriété est le travail, il en résultera que le produit du travail appartient au travailleur ; mais cet argument ne peut s’appliquer à la terre, qui n’est pas créée par le travail, qui est donnée à l’humanité par le créateur. On peut l’invoquer pour la plus-value, résultat des travaux d’amélioration, mais non pour la fertilité naturelle du sol et pour sa valeur originelle. Quant à l’occupation, qui est un

  1. Écoutons ce que dit à ce sujet un livre classique : « La première chose que l’étudiant doit faire est de se débarrasser de toute idée de propriété absolue. Une pareille idée est complètement étrangère a la loi anglaise. Nul n’est en droit propriétaire absolu de terre. (No man is in law the absolute owner of land.) — Williams, On the law of real property.