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alimentaires, enfin parce que les progrès de la science agricole et l’amélioration des voies de transport permettent de diminuer les frais de production. L’augmentation de la rente, eu tant que fait général, est donc le résultat, non de l’industrie des propriétaires, mais des progrès divers accomplis par la société tout entière. Le bénéfice net de la société se sublime pour ainsi dire et va se déposer, sous forme de loyer croissant sans cesse, dans la caisse du propriétaire, même inactif ou absent. C’est ce qu’a prouvé l’analyse économique. En France, plus de la moitié des familles, étant propriétaires, participent à l’accroissement de la rente, et l’aisance.qui en résulte profite à la classe nombreuse des cultivateurs. En Angleterre, le bénéfice du travail social est accaparé par quelques-uns, et les classes laborieuses et industrielles qui l’ont créé en sont exclues. La répartition qui résulte des lois françaises est donc plus juste et plus propre à écarter le paupérisme. Voilà pourquoi la France, qui est moins riche que l’Angleterre, a cependant beaucoup moins de misère. Le problème économique aujourd’hui n’est pas tant d’accroître la production que d’arriver à une bonne répartition.

Autre vice de la très grande propriété : elle ne pousse pas le propriétaire à tirer du sol tout le produit que celui-ci peut donner. Le cultivateur qui possède la terre doit, pour vivre, la faire valoir le mieux qu’il peut, et ainsi son intérêt est identique avec celui de la nation. Le grand seigneur, occupé ailleurs, tout à ses plaisirs, à son ambition, souvent endetté, néglige la terre, ou ne peut y consacrer le capital nécessaire. Partout en Europe, la culture donne plus de produits sous le régime de la petite propriété que sous celui de la grande. En Prusse, dans la province de Posen, avec les grands domaines, on compte par mille carré 5,000 mètres de routes, 3,000 habitans, 2,980 têtes de gros bétail ; dans les provinces rhénanes, où domine la petite propriété, on trouve sur la même superficie 17,000 mètres de routes, 6,000 habitans, 4,024 têtes de gros bétail. Le salaire est deux fois plus élevé, et il existe deux fois plus d’habitations relativement à la population que dans les provh.ces orientales. Tous les élémens qui constituent la richesse sont donc deux fois plus élevés. En Italie, comparez les immenses possessions des princes de l’état romain aux petites fermes si admirablement décrites par Sismondi. En Portugal, les vastes cultures de l’Alemtejo présentent l’aspect le plus désolant ; elles ne produisent que 22 francs par hectare, et ne nourrissent que 1 habitant par 7 hectares, tandis que la province du Minho avec ses petites propriétés produit 50 francs, et entretient plus d’un habitant par hectare. En Espagne, quel contraste entre les terres dépeuplées et pourtant