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à la pudeur naïve qui ne connaît jamais l’art des provocations ? Le sentiment qu’il m’a inspiré est non pas l’admiration, mais la sympathie, une sympathie vivante comme celle qu’on éprouve pour quelqu’un dont l’âme se trouve harmonieusement appariée à la vôtre, et dont on garde un ineffaçable souvenir. Après l’avoir contemplé, les visites des poètes aux limbes et aux séjours des âmes heureuses, cessant d’être une fiction poétique, sont devenues pour moi une tout aimable réalité, car il m’a semblé qu’il m’arrivait aussi l’aventure d’Ulysse, d’Énée et de Dante, et que je m’entretenais avec une ombre toujours quittée à regret, et dont l’éloquence possédait une musique que mes oreilles ne se lassaient pas d’entendre.

De tous les fruits tardifs de l’Italie que produisit Bologne, et que Rome fit éclore sur son magnifique espalier, le Dominiquin est le plus savoureux et le plus parfumé. Il y a plus de force et d’initiative chez les Carrache, mais il n’y a pas la même harmonieuse simplicité, et leur originalité ne sort pas aussi naïvement que la sienne de la fécondité d’une nature heureusement douée. Le Guide a bien de la facilité et bien de la sensibilité, mais il n’a ni sa conscience, ni sa sûreté, ni surtout son égalité de talent. Le Guerchin a souvent bien de la profondeur et de la passion douloureuse ; mais comme cette profondeur si facilement emphatique et cette passion si facilement mélodramatique sont loin de cette noblesse à la mélancolie constamment radieuse que nous admirons chez le Dominiquin ! L’esprit de système est fortement marqué chez les Carrache, on ne le sent pas chez le Dominiquin. L’abus et le charlatanisme du procédé sautent aux yeux dans le Guide, le Dominiquin ne nous offense jamais par ce choquant défaut. Relativement parlant, le Dominiquin est l’harmonie même, et il est eh toute réalité le plus irréprochable des grands artistes de second ordre.

Quel que soit le mérite de sa peinture de chevalet, quelle que soit la célébrité de telle de ses toiles, la Communion de saint Jérôme par exemple, c’est par ses fresques qu’il doit surtout être jugé. Celui qui ne connaîtrait le Dominiquin que par ses tableaux n’aurait aucune idée du charme et surtout de la singulière variété de son coloris. Ses tableaux brillent plus en général par la pensée, l’art de la composition, la finesse du dessin que par l’éclat ; froids de ton, ternes de couleur, ils plaisent plus à l’esprit qu’à l’œil. Dans ses fresques au contraire, et elles sont en nombre infini, la diversité de son coloris est extrême[1]. Que les fresques de

  1. Pour mettre le lecteur à même de juger de la fécondité de ce rare artiste, nous dresserons ici la nomenclature des principales œuvres dont il a enrichi Rome. Parmi ses fresques, il faut citer les six grandes figures allégoriques et les quatre Evangélistes de la tribune et de la coupole de Saint-André-della-Valle, les quatre figures allégoriques de Saint-Charles a’ Catenari, le Martyre de saint André à Saint-Grégoire, le Martyre de saint Sébastien à Sainte-Marie-des-Anges, les petits cadres dramatiques du plafond de la grande chapelle à Saint-Sylvestre au Quirinal, l’assomption du plafond de Sainte-Marie au Transtevere, les divers épisodes de la vie de saint Jérôme sur les lunettes du portique du Saint-Onuphre, enfin les fresques de la chapelle de Sainte-Cécile à Saint-Louis-des-Français. Ces dernières sont fort renommées, et quelques connaisseurs les rangent au nombre des chefs-d’œuvre du Dominiquin. Je confesse que je n’ai jamais pu les voir, tant la chapelle est étroite et reçoit mal la lumière. Les principales de ses toiles sont la Communion de saint Jérôme au Vatican, l’Évanouissement de saint François à l’église des Capucins, la Délivrance de saint Pierre à Saint-Pierre in vincolis, le Bain de Diane et la Sibylle de la galerie Borghèse, une autre Sibylle plus célèbre à la galerie du Capitole, Saül et David à la galerie Rospigliosi, un Paradis terrestre à la galerie Barberini, etc.